Le Pas de Bême : une esthétique de la désobéissance

Début décembre, le TU-Nantes présentait au Studio Théâtre la pièce Le Pas de Bême du Théâtre Déplié. Abordant la question de la désobéissance, l’histoire est celle d’un lycéen qui refuse, sans raison apparente, d’écrire ses devoirs sur table. Mais avant d’être un objet de réflexions sur la société, cette pièce est avant tout une œuvre théâtrale surprenante.

Le Pas de Bême Martin Colombet

Ils sont trois acteurs pour plusieurs personnages, entourés par quatre rangs de spectateurs. Ils sont comme dans une arène, observés de toutes parts dans leurs gestes et leurs mots. Le texte est précis, il sert de cadre à toute la pièce qui ne contient ni décor, ni costume, ni lumière particulière. Une mise en scène qui laisse donc place à l’imaginaire et à l’identification mais dont la réussite tient au talent des acteurs.
En sortant de la représentation, la justesse du jeu que je venais de voir me sautait aux yeux. Olivier Constant, Charlotte Corman et Etienne Parc ont relevé le défi d’interpréter plusieurs personnages et cela sans l’aide de costumes ni d’autres signes extérieurs. Seules les variations de leurs jeux, de leurs voix permettaient au spectateur de comprendre qu’ils avaient changés de rôles. Pour autant, ils n’ont pas exagéré les traits des personnages ; bien que parfois drôles, ils n’ont pas fait dans la caricature. Cette mise en scène risquée aurait pu mener à une confusion dérangeante pour le spectateur, mais le travail du texte et du jeu des acteurs ont tourné ce risque à leur avantage. La pièce en est d’autant plus touchante et brillante.
Le personnage principal de l’histoire est Bême, lycéen bon élève, apprécié de ses amis et professeurs, aimés de ses parents et qui pourtant rend copie blanche à chaque devoir sur table. Ni son entourage ni lui n’ont d’explication à cela. Mais ce qui est sûr c’est que cet acte dérange et la question pour nous n’est pas tant de savoir pourquoi Bême agit ainsi, mais plutôt de comprendre les différentes réactions qui suivent son refus : la recherche d’explication, l’agacement face à cette absurdité, le rejet et le mépris de cette liberté que s’octroie Bême et l’admiration. Tous cependant, professeurs, amis, parents, en viennent à se poser la question de leur propre acceptation des règles, de leur propre servitude vis-à-vis des codes de la société.
Le choix du Théâtre Déplié de placer l’histoire dans le cadre du lycée n’est pas anodin ; l’école en général n’est finalement qu’une reproduction des mécanismes qui se jouent dans la société, l’institution scolaire ne catégorise pas seulement les élèves (le dissipé, le premier de la classe etc.) mais l’ensemble de ses membres en leur donnant un rôle bien précis. Mais le jour où Bême remet en question la place qui est la sienne, celle de l’élève qui écoute, apprend et répond, c’est celle de chacun qui est interrogée. En effet, au début de la pièce, le proviseur découvre le refus de Bême et constate que ses professeurs lui attribuent tout de même la moyenne à chaque devoir. Abasourdi par leur laxisme et inquiet de la réaction du recteur face à la situation, le proviseur leur demande: « Quel est votre rôle ? » un professeur répond : « Transmettre ? » le proviseur le reprend : « Suivre les règles ! ».

 

Bême, objecteur de conscience ?

Afin de comprendre un peu mieux Le Pas de Bême, l’équipe de journalistes du Labo des savoirs a invité le metteur en scène et auteur de la pièce, Adrien Béal, a discuter de la désobéissance de Bême avec Marie David, spécialiste de la sociologie de l’école, du travail et de la déviance et Pierre Leroux, professeur en science de l’information.

 

Qu’est-ce qu’un objecteur de conscience ? C’est avant tout quelqu’un qui défend le bien commun à travers un refus non-violent. Cet acte à pour but de remettre en question  un ordre qui nous a été donné ou une décision qui a été prise, mais ne vise pas directement l’organisation générale de la société. C’est par les questions qu’il mène à nous poser, qu’éventuellement ce refus prend plus d’ampleur. Mais pour que découle de cette désobéissance un questionnement collectif, elle doit être mise en scène à travers une action particulière, elle doit être entendue. C’est ce qui se passe entre autre actuellement avec le phénomène des Zones à Défendre, qui manifestent régulièrement leur refus de décisions politiques précises (notamment d’aménagement du territoire) et amènent petit à petit à élargir ce refus à un questionnement de société plus général. Enfin, l’idée majeure qui guide l’objecteur de conscience est celle de la cohérence de ses actes avec ses paroles. Ce besoin de cohérence naît de la construction de l’esprit critique de l’individu, c’est-à-dire de sa capacité à distinguer le vrai du faux et à penser par lui-même. Cet esprit critique lui permet ainsi de construire sa propre position face à des questions de société et, quand il est nécessaire, de remettre en question des décisions qu’il considère fausses ou injustes.

Charlotte Corman est Bême, un professeur, une amie et tous les autres Le Pas de Bême Martin Colombet

Dans ce sens, selon Adrien Béal, Bême est objecteur mais pas de conscience. Il ne sait lui-même pas pourquoi il agit ainsi et ne met pas directement son acte en avant. Il est en effet précisé dans la pièce qu’il rend sa copie blanche à la fin des devoirs, sans attirer particulièrement l’attention de ses camarades. De même le personnage de Bême apparaît très peu dans la pièce et, quand c’est le cas, il ne s’exprime presque pas. Ce n’est donc pas un activiste, conscient de la raison et de la portée de son refus.
Néanmoins, consciemment ou inconsciemment, il remet en cause une norme portée par le système scolaire : l’évaluation des compétences des élèves et la façon dont elle est faite. Une scène nous donne peut être une piste pour comprendre cette remise en cause. Le professeur de philosophie, cherchant une solution à la situation de Bême, propose à ses collègues de lui poser les bonnes questions, celles qui lui donneront l’envie de répondre et de ne plus rendre de copie blanche. Le voilà donc parti à énumérer une liste inimaginable de sujets de philosophie, de plus en plus insensés. Cette scène est drôle au début et devient très longue, voire agaçante pour le spectateur. N’est-ce pas cet agacement que vivent les élèves de lycée et qui pousse Bême au refus ?

 

N’avez-vous vous-même jamais eu envie de rendre copie blanche, non pas par manque de connaissances, mais par overdose de cette sensation de devoir sans cesse prouver que vous saviez ?
Le Pas de Bême est donc une pièce qui parle de la désobéissance, mais aussi et surtout de l’obéissance, celle qu’on finit par oublier et qu’on ne remet plus en question. Nous pourrions même dire qu’à travers sa mise en scène épurée et ce trio surprenant, Le Théâtre Déplié est lui-même désobéissant, face à une société qui réclame du divertissement et des images choc, sans cesse.

Betty Collober, amplificatrice

Emilie JENOUVRIER

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