Organisé conjointement par l’AFEV et la Ligue de l’enseignement – Fédération des amicales laïques, l’événement du mardi 13 décembre 2016 était centré autour de la projection du film de Chantal Simon et Philippe Lagnier « Il, Elle, Hen : la pédagogie neutre selon la Suède ». Un débat a ensuite été lancé autour de la place de l’école dans la lutte contre les inégalités sociales et sociétales de notre époque.
La pédagogie neutre, c’est quoi ?
Partant de l’idée que l’école est une institution qui doit transmettre des valeurs et une réflexion critique aux futurs citoyens de demain, la pédagogie neutre est une manière alternative d’enseigner, dont les principes sont centrés autour de la question de la neutralité du genre. En laissant les enfants libres de s’exprimer sur leurs propres choix (vestimentaires, jouets et couleurs préférés, adoption de différents rôles au sein de la classe etc.), cette pédagogie se veut être un premier rempart à la construction identitaire sexuée que la société nous imposerait, à savoir que certains rôles, métiers, goûts et préférences seraient déjà prédéterminés par la pression sociale qui émane de la plupart de nos institutions – dont le langage notamment, qui représenterait l’un des principaux figements de nos représentations sur la question. Ainsi, l’objectif principal de la pédagogie neutre est d’empêcher, dès le plus jeune âge, la stigmatisation et la discrimination des genres supposés tenir tel ou tel rôle dans la société en fonction du sexe biologique de chacun de nous.
En France, la Ministre de l’Éducation nationale Najat Vallaud-Belkacem et le Ministère des Familles, de l’Enfance et des Droits des Femmes ont mis en place durant l’année scolaire 2013-2014 le programme des ABC de l’égalité dans plus de 275 établissements du pays qui se sont portés volontaires pour le mettre en œuvre. L’idée est de lutter contre le sexisme et les stéréotypes du genre, de transmettre des valeurs d’égalité et de respect, et de favoriser l’égalité des chances entre les filles et les garçons dans l’orientation de leurs choix personnels et, plus tard, professionnels.
En Suède, c’est un tout autre combat qui est mené par les deux établissements Nicolaigården (école maternelle) et Egalia (école primaire), où les questions de genre et d’identité sexuée ne sont tout simplement pas abordées dans les contenus d’enseignement. Entre autres, les enseignants n’emploient pas les mots « fille » ou « garçon » et on utilise le pronom « hen » (qui fait polémique au sein de la société suédoise) pour désigner ce qui n’est ni masculin ni féminin – et donc neutre – dans le but de laisser l’enfant se construire plus librement, sans laisser la connotation de genre déterminer ses choix, ses paroles et ses actions.
Le documentaire en immersion
Pour tenter de mieux comprendre les enjeux et le déroulement de cette pédagogie alternative qui fait aussi débat chez nos voisins suédois, les deux réalisateurs Chantal Simon et Philippe Lagnier ont suivi et filmé les deux écoles pendant toute une année scolaire : pédagogues, enfants, parents d’élèves, on y voit l’ensemble des acteurs évoluer dans un concept d’école neutre, qui reste à ce jour unique au monde.
C’est avec ces mots que Lotta Rajalin (directrice de l’école primaire, image ci-dessus) ouvre le documentaire, dans un discours de présentation de l’école aux nouveaux parents d’élèves :
« Soyez les bienvenu(e)s,
Nous travaillons sur le genre et l’égalité depuis 1998, depuis que le gouvernement suédois a demandé aux écoles de lutter contre les stéréotypes du genre et de veiller à ce que les garçons et les filles aient les mêmes possibilités, droits et obligations dans la société de demain. Nous ne voulons pas intervenir sur la biologie, nous ne voulons pas changer les filles en garçons et inversement, nous ne voulons pas non plus que tout le monde devienne homosexuel ou bisexuel. Nous ne travaillons pas du tout sur le sexe biologique : pour nous, les enfants sont des enfants avant tout. Nous travaillons sur le sexe social, c’est très important que vous compreniez cette différence. Notre société a tendance à tout diviser en deux moitiés : une moitié pour les garçons, et une moitié pour les filles. Technique, skateboard, mécanique, grimper, sauter, construire.. on dit que c’est pour les garçons. Les filles quant à elles jouent à la corde à sauter, chantent, aiment la danse et jouent à la poupée. Ce sont des clichés qui correspondent à nos représentations et qui nous enferment ensuite dans des rôles prédéterminés. Ce que nous voulons, c’est retirer cette ligne de séparation et permettre que les deux, filles et garçons, puissent investir tout l’espace commun. Nous sommes là pour que vos enfants puissent se rêver librement, et se sentir bien comme ils sont. C’est un long travail, mais c’est selon nous la bonne direction à suivre. »
La caméra nous emmène ensuite dans les salles de classe, où l’on peut assister à différents temps de l’enseignement et voir comment se déroule au quotidien la mise en œuvre de la pédagogie neutre telle qu’elle est conçue dans ces deux écoles. C’est aussi l’occasion de se pencher sur tout le matériel pédagogique qui a été créé autour d’un apprentissage critique des sensations, émotions et comportements : poupées (asexuées) des émotions, diversité des jouets et des vêtements disponibles dans les salles de classe, livres de contes avec des personnages sans noms (et sans véritables sexes) que l’on identifie seulement avec ce pronom personnel neutre : « hen ».
Les deux documentaristes ont également suivi en parallèle trois familles en dehors de l’école, dans l’intimité du foyer, pour peut-être nous laisser découvrir les enjeux qu’une telle pédagogie fait ressortir dans le suivi à la maison et dans le quotidien. On peut constater que si certains parents d’élèves sont convaincus des principes pédagogiques de l’école, d’autres parents ont des doutes quant aux effets que cela peut avoir sur leurs enfants, comme le cas par exemple de cette mère qui s’inquiète que sa fille « n’aime que le rose, le rose, et rien d’autre que le rose ». L’explication donnée par l’enseignante paraît peu convaincante : en s’attachant à rappeler que chaque enfant a son propre développement cognitif et se construit selon sa propre temporalité, elle met de côté l’aspect éventuellement psychanalytique de la relation mère-fille et peut-être aussi le refus de l’enfant du choix des parents de lui laisser justement une trop grande liberté de choix (qui résonne pour l’enfant comme une injonction à choisir, et à bien choisir) qui se jouent dans un tel acte de n’aimer qu’une couleur dite proprement féminine. De manière générale, le documentaire nous amène à penser que beaucoup des champs interdisciplinaires liés au développement de l’enfant ne sont pas véritablement abordés dans cet enseignement (comme l’absence de recours à des méthodes tirées d’autres pédagogies alternatives ayant déjà fait leurs preuves, la psychologie, la sociologie de l’éducation).
Enfin, au travers des discussions entre amis lors d’un repas dans une famille, et de l’avis des grands-parents présents à la fête de Noël de l’école, on a aussi l’occasion de réfléchir sur ce fameux pronom neutre « hen » qui divise les différentes couches sociétales en Suède. Pour certains, c’est une bonne chose d’avoir un pronom neutre dans la langue suédoise, puisqu’il permet d’éviter les connotations du genre dans les conversations les plus courantes, dans les publicités, les médias et dans le discours ambiant – l’utilisation du pronom « hen » nécessite également de nouvelles formes d’accords neutres des déterminants et permet notamment de ne pas faire emporter le masculin sur le féminin, comme c’est aussi le cas en suédois. Pour d’autres, il reste que l’école doit enseigner des valeurs mais aussi des traditions, et que les genres de certains mots et notions sont aussi le fruit d’une histoire qui ne doit pas être oubliée.
Pour que chacun puisse se faire sa propre idée sur le sujet, vous pouvez retrouver ici le documentaire en version complète. N’hésitez pas à améliorer la qualité standard et à activer les sous-titres en français pour une meilleure lecture.
Réactions et débat après la projection
Dès la fin de la projection, une table ronde a été organisée dans les locaux du Pôle étudiant. Par petits groupes, nous avons échangé nos impressions sur le thème du documentaire, et les idées que le film a pu susciter en chacun de nous. La mise en commun de nos réflexions a fait ressortir deux grandes idées principales, dont la première consiste à rappeler que si le genre est un construit intime, social et sociétal, il est aussi une donnée biologique. À ce titre, plusieurs opinions divergent : l’école doit-elle permettre à chacun de se réaliser sans conditions de genre, sur la seule base de nos envies et de nos compétences ? L’école doit-elle former à la différenciation des sexes afin d’en faire ressortir les notions de respect et d’égalité ? Ou, au contraire, l’école doit-elle nier, gommer, effacer nos différences ? Et que dire encore des initiatives transgenres, cisgenres et autres questions liées à l’acceptation de soi dans une société qui a encore du mal à les accepter ? L’école doit-elle les appréhender, en parler (quitte à semer une certaine confusion) ou bien doit-elle les mettre de côté, en laissant chaque individu à ses choix personnels ? Vaste question que celle du genre à l’école. La deuxième grande idée qui est ressortie de nos réflexions est que les élèves des petites écoles seront les adultes et les citoyens de demain, et qu’il doit leur être laissé le choix de leurs pensées, de leurs actions et des choix de la société qu’ils auront à cœur de construire. À ce titre, l’école n’est pas qu’une institution où l’on apprend à lire, écrire et compter, elle est le premier lieu de sociabilisation des touts-petits et elle doit également former à l’esprit critique et raisonné.
D’autres pédagogies dites alternatives ont été citées, comme notamment les pédagogies Freinet et Montessori, de plus en plus populaires en France. Mais là encore il s’agit d’être attentif à chaque élève, puisque tous les enfants ne sont pas équipés des mêmes intelligences émotionnelles et cognitives : de par nos différents profils d’apprentissage, le taux de réussite ou le risque d’échec scolaire y sont assez similaires à ceux des écoles dites traditionnelles, sans compter les risques de la difficulté d’adaptation à l’entrée au collège, où le suivi de ces pédagogies n’est pas encore bien assuré.
Enfin, il a été pointé du doigt que l’école n’est pas le seul lieu de l’apprentissage (ou non) de la différence des sexes et de nos différences en générales (de couleur de peau, socio-économiques, d’apprentissage etc.), mais que c’est d’abord au sein de la famille et ensuite dans la société toute entière que les lignes doivent pouvoir bouger sur les questions d’acceptation, de respect et d’égalité entre chacun de nous.
Benoist Réveillé, étudiant de l’atelier Expression et médias
L’AFEV (Association de la Fondation Étudiante pour la Ville) propose de nombreuses missions de volontariat et notamment la possibilité pour tous les étudiants de l’Université de Nantes d’accompagner un(e) élève issu(e) des quartiers populaires à raison de 2h par semaine, pour l’aide aux devoirs, l’aide à la sociabilisation et favoriser les rencontres, les sorties et la découverte interculturelle entre les étudiants. La Ligue de l’enseignement se définit quant à elle comme un mouvement d’idées et d’actions autour des thèmes liés à la laïcité et à l’éducation populaire.
Bien écrit, bien expliqué avec un sens critique objectif et raffiné. Très bel article, félicitation monsieur Réveillé.