Saïd Bouftass, artiste marocain, était en résidence à la Maison de Quartier des Dervallières à Nantes du 22 novembre au 4 décembre 2016. Pour l’occasion, un parcours « art contemporain et corps » a été organisé et c’est pourquoi j’ai décidé d’interviewer ce plasticien engagé.
Saïd Bouftass est né à Casablanca, mais comme il le dit lui-même, « je suis vraiment né à l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris ». C’est dans cet établissement qu’il a pu laisser libre cours à sa créativité, à tel point qu’il s’est fait surnommé « le fou du dessin ». Il s’est depuis lors consacré à dépeindre « cet objet qui représente le mystère » : le corps. En 2001, il obtient son Doctorat en Esthétique, Technologie et Création Artistique et Photographie à l’Université de Paris VIII. « Ma mère voulait que je sois médecin, car au Maroc, les chirurgiens sont très respectés et considérés comme des êtres supérieurs. Je suis finalement Docteur en art et pas un médecin qui guérit, même si je guéris peut-être l’âme… »
Phénomorphologue
Saïd Bouftass enseigne aujourd’hui la phénomorphologie, concept dont il fut le créateur en 2014. Ce nouvel objet d’étude conjugue la morphologie du corps humain et la phénoménologie. C’est par son intérêt pour la philosophie que l’artiste a eu l’idée d’inventer ce concept. Selon lui, « la philosophie et la phénoménologie sont indispensables pour la pratique artistique ». Le phénomorphologue porte également sur le dessin un regard bien singulier. Selon lui, « le dessin est économique, parce qu’on peut dessiner avec presque n’importe quoi, même un doigt dans le sable… » Mais aussi parce que le dessin a « une économie d’intelligence », c’est-à-dire qu’à la différence de la photographie ou de la vidéo, il ne permet pas de tout copier : il nécessite une sélection, un choix. Et Saïd Bouftass d’ajouter : « chaque dessin est un dessein, une intention. » Il se réfère également au grand phénoménologue Merleau-Ponty en avançant que par le dessin, « j’établis un contact avec la réalité ».
Saïd Bouftass, fasciné par le corps et sa splendeur, déplore l’abandon dans les Écoles des Beaux-Arts du dessin du corps humain. Il regrette de voir l’art contemporain (qu’il ne condamne pas bien entendu) s’imposer « au détriment » du dessin. Il illustre ses propos par l’exemple suivant : « un jeu vidéo de 1990, aujourd’hui c’est de la préhistoire, alors que la grotte de Lascaux, un dessin de Rembrandt, c’est encore plus merveilleux aujourd’hui. Pourquoi ? Parce que le dessin fait partie de notre humanité ». A ses yeux, « dessiner implique une paix intérieure », car le dessin d’observation entraîne une réflexivité, une conscience de la perception, et « la perception, c’est faire un silence dans l’esprit ». Saïd Bouftass insiste sur l’importance de l’instantané : « le dessin d’observation nous ramène ici, là, maintenant, il nous permet de vivre pleinement les choses ».
Peindre le nu au Maroc
Le chaleureux plasticien est également très engagé : il peint et dessine le corps nu qui, dans son pays, ne peut pas être vu autrement que lié à la sexualité. Au Maroc, « on est incapable de voir la vulnérabilité d’un corps, la beauté d’un corps, le miracle d’un corps. » Ce n’est pas pour autant que Saïd Bouftass laisse de côté sa « vraie passion » : il dessine le nu, mais en enlève la peau, ce qui permet de regarder le corps et d’en voir l’architecture ou les détails, ce qui nous permet de comprendre notre propre corporéité. Le dessin dépasse finalement l’art pour devenir « un art social, une sorte de thérapie ». L’artiste utilise l’encre de chine, le fusain, la mine, le lavis, mais surtout, il crée selon sa devise : « plus c’est noir, plus c’est bien ». S’il utilise des couleurs dans ses peintures, elles sont proches de la terre et proches du corps.
Le mot de la fin : un conseil tant poétique que pragmatique adressé aux étudiants : « Il faut être très patient, le progrès ne vient pas du jour au lendemain. Je dis toujours, c’est comme les cheveux : on ne les voit pas pousser, mais un beau jour il faut aller chez le coiffeur ! »
Vous pourrez également découvrir ses œuvres au sein d’une exposition installée à la Maison de Quartier des Dervallières. Plus d’informations ici.
Article de Emma Dalla Santa, étudiante de l’Université de Nantes / Atelier Expression et médias
Les deux dessins choisis pour l’article sont sublimes…
Quelle belle peinture, quel bon article, bien plus « solaires » que les pourtant beaux noirs des tableaux de Saïd Boufass, merci.
Merci pour ce bel article qui donne envie de mieux connaître l’homme et l’œuvre !