L’amour aveugle en réponse à la haine aveugle

Voici deux textes que beaucoup ont certainement déjà lu :

  • «C’est fou comme les détails sont importants, ce sont les trucs qui te raccrochent à la vie, la vie réelle»

Libération — 20 novembre 2015

Louise a 27 ans. Vendredi soir, elle était au concert d’Eagles of Death Metal au Bataclan. Une balle des terroristes l’a blessée au crâne. Elle livre à «Libération» ce témoignage écrit : «Pour que ceux qui veulent savoir sachent.»

«Vendredi, j’ai rejoint mon amie des concerts vénères, celle qui fait des pogos avec moi comme quand on avait 14 ans, celle que je perds dans la foule après la première chanson et que je rejoins à la fin avec un “c’était si BIEN, nan ? SI BIEN OUAIIIIS !” Avant, on a bu des bières au bar. Le serveur n’avait plus de Picon, et ce genre de détail est important. Du coup, on lui a dit qu’on n’allait pas s’attarder. Ça faisait longtemps que je n’avais pas dit à autant de monde où j’allais et ce que j’allais faire. J’étais contente comme à mon premier concert. On entre dans la salle, on va prendre des bières coupées à l’eau (dédicace @MantraPaul). Et puis on se fait des copains de concert. Plein. Comme d’habitude. On prend des gens en photo avec leur téléphone. On se moque un peu de ceux qui font semblant d’avoir un ami devant pour gruger deux rangs. On est au milieu de la salle quand le concert commence. Avec le mouvement de la foule, je perds ma pote, comme d’habitude, et je me retrouve devant le bassiste, à droite de la scène, au deuxième-troisième rang. Le concert commence, la foule, le bonheur. Entre les morceaux, je raconte à une fille à quel point le chanteur est sexy. On rigole. Le groupe joue Save a Prayer, de Duran Duran. Alors on chante fort en croisant nos bras sur nos cœurs. Continuer la lecture

La poésie au coin de l’amphi

La poésie au coin de l’amphi

Eva Randriamampita, Santiago Marti, “A la rencontre des Lutins Givrés”, juin 2015 Reportage- Lutins DOC

Voici le meilleur parmi les reportages réalisés en 2015. Quand je le relis, j’ai l’impression que je ne suis pas pour grand-chose dans ce résultat, même si j’en ai fait plusieurs relectures et réclamé à chaque fois des corrections, et même si nous avons eu, avec Eva et Santiago, plusieurs conversations approfondies. La première de ces conversations est, je pense, celle de janvier, que j’avais retracée dans un post intitulé « Des reportages encore dans les limbes ». Ils m’avaient parlé de leur sujet, les « Lutins », une troupe de théâtre d’improvisation. J’en étais venu à prolonger ce qu’ils me racontaient en parlant de musique et de l’improvisation en musique. Et puis Santiago, lui-même musicien comme je le découvrais alors, saxophoniste de très bon niveau en réalité, avait embrayé : il y a la technique et il y a le laisser-aller, le lâcher prise. On travaille ses gammes : myxolydienne, dorienne, Bartok et bien d’autres encore. Et puis on oublie, on efface tout, et on joue, sans plus penser à rien d’autre, en se calant dans le rythme des autres musiciens, du public, de tous les interprètes qui ont joué ces mêmes morceaux avant nous, et en suivant son inspiration. Il n’a pas dit tout cela : c’est moi qui développe ! Je me suis laissé gagner par leur enthousiasme. Appliqué au théâtre d’improvisation, pourquoi ne pas imaginer que les choses se passent un peu de la même façon pour ces virtuoses de la répartie, du mot d’esprit, de la trouvaille impromptue. Continuer la lecture

Je suis énervé

Journal de France 2 20 h, Laurent Delahousse (20 septembre 2015)

Comme les pages d’actualités de Yahoo, voilà que Delahousse se met aussi à nous poser des devinettes. « Nous irons à Athènes pour découvrir les dernières tendances après le vote d’aujourd’hui… » Le troisième titre est une devinette à nouveau.

La mise en scène est encore plus marquée lorsqu’il donne la parole au correspondant à Athènes. « Vous connaissez depuis quelques secondes les estimations qui viennent tout juste de tomber. » Deux ou trois minutes se sont déjà écoulées, juste pour « dire que l’on va dire », comme les vendeurs, comme les bateleurs de foire.

Faites votre métier ! Une info, cela suit la règle de la pyramide inversée : un « lead » qui dit l’essentiel dans des termes clairs et compréhensibles, puis le développement. La devinette est un jeu. Elle relève du divertissement : vous mélangez les genres. Si vous voulez rendre l’info attrayante, partez de son contenu et mettez-le en valeur, plutôt que de la théâtraliser de l’extérieur.

INFo INFantile, INFantilisation de la politique

Juste un mot aujourd’hui, pour dire que les chaînes titrent sur la venue d’Alain Juppé hier au Rassemblement des Jeunes Républicains du Touquet. Une “surprise”, puisque cette venue n’était pas prévue, et que l’on attendait Nicolas Sarkozy, qui est venu, mais A. Juppé s’était éclipsé auparavant.

Une info, ça ? Et vous vous étonnez que les gens se désintéressent de l’actualité ?

Le pire dans tout cela, c’est que les conseillers en communication d’Alain Juppé intègrent ce fonctionnement des médias, et créent de toutes pièces les occasions de l’alimenter. Fine mouche, la journaliste d’iTélé relève que 5 heures aller et retour pour passer une heure au Rassemblement, cela fait cher le “coup médiatique”. D’ailleurs, sur quoi a-t-elle essayé de l’interroger : sur l’écologie, sur les migrants, sur la réforme du travail ? Vous n’y pensez pas ! Elle l’a interrogé sur le sens de sa venue, pour gêner Sarko ? il repartirait avant son arrivée ? il a des rendez-vous à Paris ? M. Juppé est un homme occupé – à La Baule, il y a une quinzaine de jours, il était reparti de la même façon – qui joue aux jeux des journalistes, tout en s’en plaignant, “vous ne changerez jamais !” Un homme important, avec de hautes responsabilités, qui joue à des jeux d’enfants.

Bourdieu parlait de “la circulation circulaire de l’information” : les journalistes parlent des politiques qui jouent à leur jeu (ou les politiques, et leurs conseillers, inventent de nouveaux jeux pour faire plaisir aux journalistes et en tirer pour eux-mêmes quelques bénéfices si possible).

Pendant ce temps, au café près de chez moi, de grands enfants devant leur chopine de rosé : “Moi, les Roumains, je les renverrais chez eux, tous. Ce sont les pires. Chacun chez soi, c’est beaucoup plus simple !” (les Roumains, les Roms ?), etc., etc.

Les hommes politiques n’ont rien à dire ? Ni les journalistes ? Et nous, les universitaires ?

 

Et si on discutait de la discutabilité ?

Le 12 juillet 2016 : presque un an après la publication de ce post, l’une des étudiantes auteures du reportage commenté ici me demande de retirer ce texte afin que son nom et les références à un membre de sa famille n’apparaissent plus. Je devrais refuser.

Refuser, car l’université défend la même liberté d’expression que la presse, me semble-t-il, c’est l’une de ses valeurs cardinales. Et parce que réaliser un reportage dans le cadre d’une année d’études, c’est apprendre à exercer sa curiosité, son sens de l’écoute et sa liberté dans le choix d’un angle et d’un registre d’écriture. Pas à réclamer sous de très mauvais prétextes le retrait de textes et de la réflexion qui va avec.

Mais je crois au respect autant qu’à la liberté. J’ai décidé de retirer 7 lignes du texte ci-dessous, ainsi que le reportage et les noms des trois étudiantes qui l’ont réalisé. En dehors de cela, je maintiens la totalité de mon texte qui reste, je crois, largement lisible et compréhensible en l’absence du reportage. Supprimer ce texte aurait été un peu vexant, car il me semble particulièrement emblématique du type de réflexion mené dans ce blog sur le reportage et sur sa pédagogie, et de la fonction d’approfondissement liée au choix d’un angle.

J’ajouterai que certains étudiants jugent parfois leurs profs avec une sévérité que, par chance pour eux, nous n’avons pas à leur égard. Et que demander à un enseignant-chercheur de retirer un texte relevant à la fois de la pédagogie et de la recherche, c’est lui crever doublement le coeur… Continuer la lecture

Zombidextre

Baptiste Gaudin et Charlotte Desmars, ‘Nantes : l’invasion démarre’, juin 2015

Voici donc le reportage des deux étudiants qui m’ont initié, en début d’année, à l’univers des zombies, et qui m’ont convaincu que le genre post apocalyptique dont il relève n’est pas un simple divertissement, mais une représentation amère de notre avenir (surtout celui des jeunes), dans un mode déréglé, chaotique, violent. Et une métaphore de notre présent, une protestation contre un système dans lequel la technologie, les rythmes imposés, l’obligation de performer, la consommation de masse, la culture de masse, tendent à transformer ceux qui n’ont pas cédé au burn out, en légumes, en « zombies » tout simplement, puisque le mot est entré dans l’usage. Continuer la lecture

BACK TO SOCRATES

Lucile Conan, Bénédicte Thomère, Ana Yanguas de Benito, Les coulisses du journalisme, juin 2012

Les coulisses du journalisme

Quelles sont les qualités personnelles indispensables pour réussir dans le journalisme ? Voilà une question large à souhait, au point que je me demande pourquoi je n’ai pas demandé à ces 3 étudiantes, il y a 2 ans, de resserrer un peu plus le périmètre de leur sujet… Continuer la lecture

Descartes à l’usine

Maxime Billy, Hichem Abbour, “Plan social : derrière les chiffres la réalité humaine”, mai 2014

Plan social : derrière les chiffres la réalité humaine

Une belle présentation sur un format A3, même si ce reportage est insuffisamment illustré.

On peut le lire avec une attention « flottante », sans entrer dans tous les détails, et l’on apprendra déjà beaucoup sur les préoccupations des ouvriers de l’usine PSA, les traites de la maison à payer, les conséquences d’un divorce, les briefings de la hiérarchie, et surtout, la pression, l’isolement, les rumeurs, la délation. Continuer la lecture

“… de l’extérieur, le bar n’a rien d’un bar”

Antoine Rouxel, Clint McLaren, Le Game Over, mai 2014

Le Game Over

Ce reportage est lumineux, au propre et au figuré. C’est certainement l’un de mes préférés. Mais je dirai qu’il est lumineux jusque dans ses défauts : fautes assez nombreuses de ponctuation (que je n’ai pas pu corriger sur le fichier), et définition trop tardive de l’angle.

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