Des reportages encore dans les limbes…

Ce matin, deux étudiants me parlent de leur projet de reportage sur une troupe de théâtre d’improvisation. Nous discutons sur le choix de l’angle. Je leur demande quel âge ont les membres de cette troupe, s’ils travaillent, s’ils sont étudiants. Le garçon me dit qu’ils ont envisagé d’axer le reportage sur leurs motivations, mais que cela lui paraît insuffisant. J’approuve. Il faut affiner, prendre encore 2 ou 3 semaines avant de se lancer dans l’enquête de terrain et les interviews.

Nous convenons que ce sont certainement des gens qui s’éclatent en prenant du plaisir à inventer, à jouer avec les mots, à faire preuve de créativité, et que cela peut par exemple avoir des retombées dans leur travail. Je leur parle de Buñuel qui considérait l’imagination comme un muscle qu’il faut entraîner, et faisait des exercices journaliers de créativité avec Jean-Claude Carrière au petit déjeuner.

Je leur suggère de lire d’autres reportages, par exemple sur la musique. Je leur cite un reportage sur la fanfare d’une école d’ingénieur, pour voir comment on peut parler d’un groupe de gens réunis autour d’une passion. Le garçon connaît cette fanfare et me dit qu’il joue du saxophone dans une autre fanfare. D’ailleurs – je ne l’avais pas remarqué – son saxo est là, dans son étui, appuyé contre le mur. Évidemment, j’en viens à lui demander s’il improvise ou s’il se contente de jouer des partitions. Et je lui parle d’un MOOC de l’Université de Berklee sur l’improvisation, où Gary Burton, vibraphoniste, explique qu’une improvisation se construit comme un récit, comme on raconterait une histoire.

Il me dit alors : « oui, quand on improvise, il y a deux choses différentes. Il y a la réflexion, la technique, on pense aux gammes qu’on va utiliser, et il y a le ‘laisser-aller’ ».

Voilà. Tout est dit. C’est comme cela que ça se passe quand on construit un angle… Se servir de la comparaison avec la musique pour enrichir sa problématique concernant le théâtre et transposer des idées et des questions, c’est exactement cela qu’on appelle un angle de type mise en perspective.

J’ajoute aussi qu’au départ, ils ont dû être surpris quand il les ont vus pour la première fois en spectacle et se dire : whahh ! C’est pas banal. Comment ils font pour trouver les idées, pour enchaîner, pour avoir la répartie tout de suite ? J’ajoute encore que cet étonnement est le point de départ de la démarche d’un reporter, comme d’un philosophe, ce qui donne envie d’en savoir plus et de comprendre. Et que quelles que soient les idées qui viendront par la suite, il faudra conserver cette sorte d’ahurissement primordial. L’étudiante reprend alors, comme si c’étaient ses propres mots : oui, je les ai vus en spectacle et je me suis dit « whahh ! »

Un autre groupe a l’intention de faire un reportage sur le street art. Même chose sur les motivations des artistes, ce que ça leur apporte : encore flou et insuffisant. Je leur dis aussi de lire d’autres reportages, notamment sur la musique, par exemple celui sur les choristes de l’Opéra, avec leurs moments les plus difficiles et leurs moments de grâce. Pas vraiment transposable, mais ça peut donner des idées. Leur idée de commencer par interroger les gens sur ce qu’ils pensent du street art ne va pas mener très loin, à mon avis, et je le leur déconseille. L’une des filles enchaîne alors en disant que les graffeurs sont des gens qui ont souvent une vie par ailleurs, une famille, un travail, et que l’on ne les imaginerait pas se livrer ensuite à cette activité. Une autre semble avoir une illumination : oui, le père de Lola, il est prof. Elle reste pensive, comme si les idées se bousculaient dans sa tête. Je les laisse avec un conseil : noter toute la série des idées qui leur viennent, et par la suite choisir les meilleures et voir s’il est possible de les articuler les unes aux autres. Et réfléchir aux questions auxquelles elles voudraient obtenir des réponses en faisant leur reportage, ce qui n’est pas la même chose que celles qu’elles poseront ensuite en interview. A suivre.

Un autre groupe encore envisage un sujet sur les réactions des Musulmans après l’attentat contre Charlie. Elles pensent interroger différents types de personnes, dont un imam. J’approuve bien sûr le sujet. J’insiste sur la différence entre un reportage et un simple sondage. Il ne faut pas trop se disperser. Suivant mon intuition, je leur dis que le mieux serait de se concentrer sur un lieu qui constituera leur terrain et qu’elles pourront décrire, dans un esprit de reportage. Cela pourrait être une école dans un quartier, avec des enfants de familles musulmanes. Ou encore la mosquée de l’imam qu’elles connaissent, avec des fidèles. Il faudra encore définir sur quoi centrer les conversations. Je risque : la notion d’offense ? Elles répondent : plutôt la sécurité, est-ce qu’ils se sentent menacés maintenant ? Dont acte…

 

1 thoughts on “Des reportages encore dans les limbes…

  1. Ping : La poésie au coin de l’amphi | Techniques de reportage

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *