A propos Gérard Cornu

Je suis ce monsieur qui parle sur la photo, et qui en a fait un métier bien improbable, de parler, alors que rien, mais vraiment rien, ne l’y prédisposait. Je le fais le mieux possible, ce métier, simplement car je ne supporterais pas d’être un mauvais prof. Je me suis posé à Nantes il y a 27 ans, juste au moment où cette « belle endormie » se réveillait. J’ai quelques passions : la musique, les langues, l’herméneutique. Outre les techniques et l’histoire du journalisme, j’enseigne l’analyse filmique (cinéma espagnol et latinoaméricain), et j’ai en charge la communication de la Faculté des langues. J’aime écrire plus que parler, et j’aime aussi « faire écrire ». C’est en grande partie l’objet de ce blog. Amener des étudiants pas vraiment littéraires à pratiquer ce genre simple et populaire qu’est le reportage, à mettre en mots des rencontres, à s’imposer un fil conducteur, et à donner le meilleur d’eux-mêmes.

Paresse et laisser-aller

Quand le site internet de L’Express publie un article titré « Jean-Vincent Placé, nouveau ministre sous la risée de twitter » (http://www.lexpress.fr/actualite/politique/remaniement-jean-vincent-place-nouveau-ministre-sous-la-risee-de-twitter_1762826.html), en reprenant simplement quelques messages parus sur le réseau social sans leur adjoindre ni information, ni analyse, on peut se demander si un média de cette envergure, employant, je pense, une bonne centaine de journalistes professionnels, fait son travail, ou s’il cède à l’idéologie, ou bien à la paresse. Un article vite fait bien fait, pour ne pas dire bâclé. Par qui, d’ailleurs ? Un stagiaire ? Peut-être, mais qui s’autorise, si c’est le cas, un traitement bien partisan de l’information, et encadré par des journalistes rigolards qui forcent le trait avec un titre qui excède largement le contenu de l’article. On imagine la scène, et cela n’est pas vraiment à l’honneur de la profession. Certains parleront ensuite de manipulation de l’opinion ou de campagne de dénigrement, là où règne en réalité un laisser-aller indigne. Je serais sincèrement curieux de connaître le fin mot de l’affaire et de comprendre comment un tel article aboutit sur nos écrans d’ordinateur.

Libération ne fait pas mieux en illustrant son article sur le remaniement avec une photo de Hollande et Ayrault d’un effet tellement facile que là encore, on se dit : paresse, laisser-aller. (hollande ayrault )

Les journalistes ont-ils tous conscience du fait que leur liberté de ton, chèrement conquise, n’a de sens que si elle est associée à un niveau d’exigence sans lequel il est normal que le public ne leur accorde pas plus largement sa confiance ?

Orthographe et bilan carbone

Ce soir, au journal de 20 heures de France 2, un reportage assez convenu sur la réforme de l’orthographe. Le mot « oignon » pourra désormais s’écrire avec ou sans « i ». Le reporter, malin, interroge une Madame Toutlemonde : « Avec une lettre de moins, ça aura quand même le même goût ? » Elle rigole. Que faire d’autre, quand on se fait bêtement microtrottoiriser ? (Moi, perso, la dernière fois, j’ai refusé. J’ai demandé de quoi ça allait parler et déjà ça, ça semblait les embêter de gaspiller du temps à me répondre, ils voulaient filmer direct…) Mais il n’a peut-être pas remarqué que son cadreur filmait une pancarte, derrière les ognons rouges, indiquant une origine loin, bien loin de l’Académie française : « Égypte ». Ben oui, quoi ! J’suis reporter au JT de France 2, j’peux pas avoir les yeux partout ! Même si les yeux, c’est la base de l’audiovisuel.

Si ça ne le choque pas, moi oui ! Je suis allé au marché de Talensac à Nantes ce matin. J’ai acheté des légumes chez un producteur bio qui m’a même fait cadeau du sac en tissu. Et quand j’ai demandé deux ognons, il m’a demandé : « jaunes ou rouges ? ». Car il produisait les deux.

Alors : « Avec une lettre en moins, ça change le bilan carbone ? »

ognon rouge Égypte

 

Professionnalisme et pédagogie n’empêchent pas la réflexion et l’engagement.

Yves Agnès, ancien directeur du CFPJ et longtemps rédacteur en chef au Monde était à Nantes la semaine dernière, à l’invitation de l’Observatoire des médias de l’Université permanente. Son thème : « La déontologie des médias, progrès ou régression ? » Malicieux, il nous a d’ailleurs laissé conclure nous-mêmes à la fin de son intervention.

Avant sa conférence, je suis allé le saluer et lui dire que j’utilise avec beaucoup de profit son « Manuel de journalisme » dans mes cours, et que je m’étais aussi beaucoup servi dans le passé de son livre « L’entreprise sous presse », consacré aux journaux d’entreprise. Il m’a dit que ce livre, en particulier, lui avait coûté énormément de travail. Quant au « Manuel », il en est maintenant à sa troisième édition, avec notamment des compléments sur le journalisme internet. Il avait une façon amusante de me pointer du doigt en me parlant. Continuer la lecture

L’amour aveugle en réponse à la haine aveugle

Voici deux textes que beaucoup ont certainement déjà lu :

  • «C’est fou comme les détails sont importants, ce sont les trucs qui te raccrochent à la vie, la vie réelle»

Libération — 20 novembre 2015

Louise a 27 ans. Vendredi soir, elle était au concert d’Eagles of Death Metal au Bataclan. Une balle des terroristes l’a blessée au crâne. Elle livre à «Libération» ce témoignage écrit : «Pour que ceux qui veulent savoir sachent.»

«Vendredi, j’ai rejoint mon amie des concerts vénères, celle qui fait des pogos avec moi comme quand on avait 14 ans, celle que je perds dans la foule après la première chanson et que je rejoins à la fin avec un « c’était si BIEN, nan ? SI BIEN OUAIIIIS ! » Avant, on a bu des bières au bar. Le serveur n’avait plus de Picon, et ce genre de détail est important. Du coup, on lui a dit qu’on n’allait pas s’attarder. Ça faisait longtemps que je n’avais pas dit à autant de monde où j’allais et ce que j’allais faire. J’étais contente comme à mon premier concert. On entre dans la salle, on va prendre des bières coupées à l’eau (dédicace @MantraPaul). Et puis on se fait des copains de concert. Plein. Comme d’habitude. On prend des gens en photo avec leur téléphone. On se moque un peu de ceux qui font semblant d’avoir un ami devant pour gruger deux rangs. On est au milieu de la salle quand le concert commence. Avec le mouvement de la foule, je perds ma pote, comme d’habitude, et je me retrouve devant le bassiste, à droite de la scène, au deuxième-troisième rang. Le concert commence, la foule, le bonheur. Entre les morceaux, je raconte à une fille à quel point le chanteur est sexy. On rigole. Le groupe joue Save a Prayer, de Duran Duran. Alors on chante fort en croisant nos bras sur nos cœurs. Continuer la lecture

« Son nom est ce soir sur toutes les lèvres. »

BFM TV, ce soir 22h. Un bellâtre blond prend son élan pour lancer cette phrase d’une absurdité rare : « Son nom est ce soir sur toutes les lèvres : Karim Benzema. » Désolé, je n’ai pas écouté la suite. Je n’ai pas besoin d’en savoir plus : une affaire de chantage, une vidéo intime restée sur le portable de Valbuena, 3 maîtres-chanteurs, Benzema qui s’en mêle. Continuer la lecture

Les têtes de gondoles aussi…

Hier, je vous parlais des jeunes journalistes mal payés de BFM et i-Télé. Aujourd’hui, force est de constater que les présentateurs des journaux du matin poursuivent sur la même lancée : « Ce matin, Moirans se réveille en état de choc, etc. » Vous pourriez l’écrire vous-mêmes tellement c’est prévisible. Les chaînes généralistes prolongent ce traitement de l’information : France 2 nous dit à 13h que « la situation est confuse ». On peut remarquer le même flou qu’hier soir : un restaurant saccagé et deux barricades faites de carcasses de voitures prises dans une casse et enflammées, cela ne veut pas dire qu' »une partie de la ville a été mise à sac ». Et pour préserver cette interprétation, on nous montre une profusion de plans étonnamment serrés. Continuer la lecture

La « bêtise » de certains jeunes journalistes

Je ne suis plus motivé pour traiter le sujet. C’est devenu répétitif…

BFM TV et I-Télé annoncent toutes les deux qu’une partie du centre ville de Moirans a été mise à sac par des gens du voyage. Lorsqu’on écoute les détails, on apprend que : 1) un restaurant proche de la gare a été saccagé ; 2) une barricade de voitures enflammées a bloqué les voies de chemin de fer cet après-midi ; 3 ) une barricade du même type a été érigée sur la départementale menant au centre ville ; 4) ces deux barricades ont été constituées à partir de voitures prises dans une casse.

Pourquoi les deux chaînes dramatisent-elles l’événement à ce point ? Je suppose que : 1) elles prennent toutes les deux pour source une même dépêche d’agence indiquant qu' »une partie du centre ville a été mis mis à sac », ce qui en dit long sur le discernement et la capacité d’analyse de certains journalistes… ; 2) elles cherchent à mettre en avant le caractère spectaculaire de l’événement (les barricades en flammes constituent de belles images pour cela), et à le « vendre ».

On ne peut même pas dire que l’information est « manipulée ». Des journalistes mal formés déforment eux-mêmes l’information en suivant une pente « conformiste » et « spectacularisante ». Flaubert appelait cela – ou du moins l’équivalent à son époque – de la « bêtise ».

La poésie au coin de l’amphi

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La poésie au coin de l’amphi

Eva Randriamampita, Santiago Marti, « A la rencontre des Lutins Givrés », juin 2015 Reportage- Lutins DOC

Voici le meilleur parmi les reportages réalisés en 2015. Quand je le relis, j’ai l’impression que je ne suis pas pour grand-chose dans ce résultat, même si j’en ai fait plusieurs relectures et réclamé à chaque fois des corrections, et même si nous avons eu, avec Eva et Santiago, plusieurs conversations approfondies. La première de ces conversations est, je pense, celle de janvier, que j’avais retracée dans un post intitulé « Des reportages encore dans les limbes ». Ils m’avaient parlé de leur sujet, les « Lutins », une troupe de théâtre d’improvisation. J’en étais venu à prolonger ce qu’ils me racontaient en parlant de musique et de l’improvisation en musique. Et puis Santiago, lui-même musicien comme je le découvrais alors, saxophoniste de très bon niveau en réalité, avait embrayé : il y a la technique et il y a le laisser-aller, le lâcher prise. On travaille ses gammes : myxolydienne, dorienne, Bartok et bien d’autres encore. Et puis on oublie, on efface tout, et on joue, sans plus penser à rien d’autre, en se calant dans le rythme des autres musiciens, du public, de tous les interprètes qui ont joué ces mêmes morceaux avant nous, et en suivant son inspiration. Il n’a pas dit tout cela : c’est moi qui développe ! Je me suis laissé gagner par leur enthousiasme. Appliqué au théâtre d’improvisation, pourquoi ne pas imaginer que les choses se passent un peu de la même façon pour ces virtuoses de la répartie, du mot d’esprit, de la trouvaille impromptue. Continuer la lecture

Je suis énervé

Journal de France 2 20 h, Laurent Delahousse (20 septembre 2015)

Comme les pages d’actualités de Yahoo, voilà que Delahousse se met aussi à nous poser des devinettes. « Nous irons à Athènes pour découvrir les dernières tendances après le vote d’aujourd’hui… » Le troisième titre est une devinette à nouveau.

La mise en scène est encore plus marquée lorsqu’il donne la parole au correspondant à Athènes. « Vous connaissez depuis quelques secondes les estimations qui viennent tout juste de tomber. » Deux ou trois minutes se sont déjà écoulées, juste pour « dire que l’on va dire », comme les vendeurs, comme les bateleurs de foire.

Faites votre métier ! Une info, cela suit la règle de la pyramide inversée : un « lead » qui dit l’essentiel dans des termes clairs et compréhensibles, puis le développement. La devinette est un jeu. Elle relève du divertissement : vous mélangez les genres. Si vous voulez rendre l’info attrayante, partez de son contenu et mettez-le en valeur, plutôt que de la théâtraliser de l’extérieur.

INFo INFantile, INFantilisation de la politique

Juste un mot aujourd’hui, pour dire que les chaînes titrent sur la venue d’Alain Juppé hier au Rassemblement des Jeunes Républicains du Touquet. Une « surprise », puisque cette venue n’était pas prévue, et que l’on attendait Nicolas Sarkozy, qui est venu, mais A. Juppé s’était éclipsé auparavant.

Une info, ça ? Et vous vous étonnez que les gens se désintéressent de l’actualité ?

Le pire dans tout cela, c’est que les conseillers en communication d’Alain Juppé intègrent ce fonctionnement des médias, et créent de toutes pièces les occasions de l’alimenter. Fine mouche, la journaliste d’iTélé relève que 5 heures aller et retour pour passer une heure au Rassemblement, cela fait cher le « coup médiatique ». D’ailleurs, sur quoi a-t-elle essayé de l’interroger : sur l’écologie, sur les migrants, sur la réforme du travail ? Vous n’y pensez pas ! Elle l’a interrogé sur le sens de sa venue, pour gêner Sarko ? il repartirait avant son arrivée ? il a des rendez-vous à Paris ? M. Juppé est un homme occupé – à La Baule, il y a une quinzaine de jours, il était reparti de la même façon – qui joue aux jeux des journalistes, tout en s’en plaignant, « vous ne changerez jamais ! » Un homme important, avec de hautes responsabilités, qui joue à des jeux d’enfants.

Bourdieu parlait de « la circulation circulaire de l’information » : les journalistes parlent des politiques qui jouent à leur jeu (ou les politiques, et leurs conseillers, inventent de nouveaux jeux pour faire plaisir aux journalistes et en tirer pour eux-mêmes quelques bénéfices si possible).

Pendant ce temps, au café près de chez moi, de grands enfants devant leur chopine de rosé : « Moi, les Roumains, je les renverrais chez eux, tous. Ce sont les pires. Chacun chez soi, c’est beaucoup plus simple ! » (les Roumains, les Roms ?), etc., etc.

Les hommes politiques n’ont rien à dire ? Ni les journalistes ? Et nous, les universitaires ?