“L’égalité n’est pas naturelle, c’est un combat”

Pour ce sixième rendez-vous historique, l’association Nantes-Histoire nous a proposé d’aller à la rencontre de Françoise Thébaud, lundi 20 novembre dernier. Historienne et professeure émérite, elle nous a présenté l’Histoire des Femmes et du genre à travers les époques. Thématique hautement appréciée en ces temps de débats et de remises en question sociale.

Françoise Thébaud

Pour Françoise Thébaud, “l’Histoire, telle qu’elle est écrite et enseignée, est surtout une Histoire au masculin”, reflet de notre société où l’homme trouve toujours sa place au contraire de la femme.

Ceci n’est pas une nouveauté, les femmes ont toujours eu à « jouer des coudes » pour s’intégrer en son sein. Françoise Thébaud l’a bien compris, s’attaquer à un tel sujet, promouvoir ce genre trop souvent mis de côté et en faire la thématique même d’une historiographie, n’est pas chose aisée. Lors de la publication en 1998 de son ouvrage, Écrire l’Histoire des femmes, il est d’abord reçu avec circonspection, « Les historiens traditionnels disaient qu’on ne faisait pas de la « bonne Histoire » mais de l’Histoire militante », car il y avait un lien entre l’émergence de l’Histoire des femmes et de leur mouvement. Mais l’évolution des mentalités, l’affirmation du féminisme parmi les débats mondiaux, ont changé la vision des lecteurs.

Traditionnellement, l’Histoire au sens étroit du terme était celle de la diplomatique, celle des guerres et celle des hommes. « L’Histoire des femmes apporte un nouveau questionnement et de nouveaux objets comme la maternité, les féminismes, l’avortement, que l’Histoire classique au masculin ne considérait pas comme digne d’intérêt ».

 

« La femme n’existe pas sauf dans l’imaginaire des hommes »

On parle souvent de LA femme, mais comme l’explique Françoise Thébaud, « LES femmes sont multiples, diverses, elles sont traversées aussi par des différences entre l’appartenance sociale, d’âge, de religion, de nation». Les acquis de ces femmes au XXe siècle ont très souvent été l’objet de revendications et de combats antérieurs ; combats face aux résistances des hommes, combats face à des oppositions politiques, combats face aux mentalités même de la société. Le XXIe siècle ne fait qu’ouvrir un nouveau siècle de débats. La pilule, le droit à l’IVG et surtout le respect des femmes n’en sont que toujours remis en question !

« Aucuns droits ne tombent du ciel, l’égalité n’est pas naturelle, c’est un combat »

« Nous, historiennes et historiens des femmes et du genre, on peut dire qu’aujourd’hui on a gagné une sorte de combat de légitimité, (…) mais ça a été un long processus. ». Cela a pris près de 40 ans à l’Histoire des Femmes pour obtenir une reconnaissance intellectuelle. Cette reconnaissance suit de près celle des Femmes, qui depuis l’obtention du droit de vote en 1944 atteignent presque la moitié des effectifs à l’Assemblée nationale en 2017 (224 femmes pour 353 hommes, soit environ 39% de femmes).

 

« Devenir visible et le rester »

Le militantisme féminin fait parti de cette volonté de faire comprendre aux citoyens comment les choses ont évolué, ont été modifiées grâce à des luttes sociales, par des luttes des femmes. Mais « l’Histoire de métier, même si il est féministe, même s’il est militant, doit montrer la complexité des phénomènes ». Il faut distinguer l’écriture de l’Histoire et son usage. Beaucoup peinent à les différencier. L’Histoire scientifique est une Histoire qui cherche à transmettre une véracité. Certains s’en emparent ensuite, mais comme l’exprime Françoise Thébaud « qu’elle serve, qu’elle soit diffusée, que les citoyens et citoyennes se l’approprie, qu’ils en tirent les conséquences sociales et politiques qu’ils souhaitent, l’Histoire est vivante ».

 

« Les inégalités se recomposent sous une autre forme mais les choses ont quand même bougé »

L’Histoire du féminisme s’est écrite par vagues consécutives. Du mouvement de libération des femmes des années 1970, avec l’acquisition de droits sexuels (IVG, pilule), aux années 1990 où des mouvements de femmes réclament une plus grande participation à la vie politique, pas seulement le droit de voter ou d’être élue, mais bien celui d’une reconnaissance plus réelle et profonde, que ce monde politique s’ouvre enfin à elles.

Depuis, les mentalités ont évolué, allant de pair avec les lois. Les femmes ne sont plus juridiquement mineures depuis 1985 même si cela ne les protège pas des violences conjugales ou du travail domestique qu’elles assurent majoritairement. De plus en plus de femmes sont conscientes de leurs droits. Yvette Roudy, ministre des droits de la femme en 1981 disait : « Je veux que mon ministère soit un ministère du déconditionnement des hommes et des femmes » car il existait auparavant un secrétariat d’état à la condition féminine. Elle voulait changer les mentalités et a réussi en cela à convaincre les femmes qu’elles avaient des droits. Des campagnes pour la contraception apparaissent alors, d’autres pour l’égalité : « Les métiers n’ont pas de sexe ».

La situation a certes évolué mais de nombreuses disparités restent encore ancrées : l’inégalité salariale, la condition féminine au travail. « La situation n’est pas égalitaire parce que la société ne l’est pas non plus ».

 

« Aucun droit n’est jamais totalement acquis »

Depuis ces dernières années, des rues nantaises ont été rebaptisées des plus grandes femmes de l’Histoire, l’Assemblée nationale est de nos jours presque paritaire, les choses évoluent. Mais “L’Histoire n’est pas un continuum de progrès”.  Les prémices de l’Histoire des Femmes ont été écrites par un historien américain, paradoxalement à leur actualité présidentielle. Au XXIe siècle encore, atteindre la présidence pour une femme reste un exploit annoncé dans les journaux à travers le monde. Alors oui, être une femme est un combat au quotidien.

 

« Viol de nuit, terre des femmes »

À l’heure du hashtag « balance ton porc », la toile s’agite et les acteurs font parler. Pour Françoise Thébaud, ces femmes qui se sont battues pour la contraception dans les années 1970, dénoncent aujourd’hui les violences sexuelles qu’elles ont subies et « réclament un droit à la dignité ». « L’intérêt est que ce « grand déballage » fait surgir un problème réel de société, autrefois mis sous le tapis ».

Ce problème de société est un problème ancré profondément dans l’idée de la femme comme « objet », la femme muse, celle qui reflète la beauté tout en restant chose pour certains. Certaines situations nous placent en position de faiblesse alors que ça ne devrait pas l’être.

On ne parle pas de persécutions répétées, de ségrégation ou de xénophobie, mais, demandez plutôt à une femme ce qu’elle ressent quand elle rentre seule à minuit ? Demandez-lui ce qu’elle pense du regard insistant de certains parce-qu’elle a décidé de se faire belle aujourd’hui ?

Ce grand débat qui surgit n’est pas sans rappeler une fameuse affiche des années 1970 « Viol de nuit, terre des femmes » reprenant habilement le livre de Saint-Exupéry « Vol de nuit, terre des hommes ». La provocation comme arme politique, les mots comme prise de conscience.

Ce phénomène social, parti du courage d’une femme à parler de son vécu a entraîné l’émoi de certains, la compassion et la révolte d’autres. Ce hashtag a pris une ampleur exponentielle, ouvrant la voie(x) aux femmes pour s’exprimer sur un phénomène au cœur de notre société mais beaucoup trop oublié et mis de côté. Ces nouveaux lieux d’expression ont permis à des femmes d’ouvrir ce combat en atteignant un maximum de personnes, de lieux et de mentalités, en utilisant la simple force des mots comme arme de défense. Les gens préfèrent se conforter dans leur aveuglement par peur d’affronter une réalité choquante qui s’ancre dans le sexisme de notre société. « Ceux qui dénigrent, d’un certain côté, refusent de voir une réalité »

 

Maintenant, à vous la parole !

Anna

Étudiante en 3ème année d'Histoire.

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