Paresse et laisser-aller

Quand le site internet de L’Express publie un article titré « Jean-Vincent Placé, nouveau ministre sous la risée de twitter » (http://www.lexpress.fr/actualite/politique/remaniement-jean-vincent-place-nouveau-ministre-sous-la-risee-de-twitter_1762826.html), en reprenant simplement quelques messages parus sur le réseau social sans leur adjoindre ni information, ni analyse, on peut se demander si un média de cette envergure, employant, je pense, une bonne centaine de journalistes professionnels, fait son travail, ou s’il cède à l’idéologie, ou bien à la paresse. Un article vite fait bien fait, pour ne pas dire bâclé. Par qui, d’ailleurs ? Un stagiaire ? Peut-être, mais qui s’autorise, si c’est le cas, un traitement bien partisan de l’information, et encadré par des journalistes rigolards qui forcent le trait avec un titre qui excède largement le contenu de l’article. On imagine la scène, et cela n’est pas vraiment à l’honneur de la profession. Certains parleront ensuite de manipulation de l’opinion ou de campagne de dénigrement, là où règne en réalité un laisser-aller indigne. Je serais sincèrement curieux de connaître le fin mot de l’affaire et de comprendre comment un tel article aboutit sur nos écrans d’ordinateur.

Libération ne fait pas mieux en illustrant son article sur le remaniement avec une photo de Hollande et Ayrault d’un effet tellement facile que là encore, on se dit : paresse, laisser-aller. (hollande ayrault )

Les journalistes ont-ils tous conscience du fait que leur liberté de ton, chèrement conquise, n’a de sens que si elle est associée à un niveau d’exigence sans lequel il est normal que le public ne leur accorde pas plus largement sa confiance ?

Orthographe et bilan carbone

Ce soir, au journal de 20 heures de France 2, un reportage assez convenu sur la réforme de l’orthographe. Le mot « oignon » pourra désormais s’écrire avec ou sans « i ». Le reporter, malin, interroge une Madame Toutlemonde : « Avec une lettre de moins, ça aura quand même le même goût ? » Elle rigole. Que faire d’autre, quand on se fait bêtement microtrottoiriser ? (Moi, perso, la dernière fois, j’ai refusé. J’ai demandé de quoi ça allait parler et déjà ça, ça semblait les embêter de gaspiller du temps à me répondre, ils voulaient filmer direct…) Mais il n’a peut-être pas remarqué que son cadreur filmait une pancarte, derrière les ognons rouges, indiquant une origine loin, bien loin de l’Académie française : « Égypte ». Ben oui, quoi ! J’suis reporter au JT de France 2, j’peux pas avoir les yeux partout ! Même si les yeux, c’est la base de l’audiovisuel.

Si ça ne le choque pas, moi oui ! Je suis allé au marché de Talensac à Nantes ce matin. J’ai acheté des légumes chez un producteur bio qui m’a même fait cadeau du sac en tissu. Et quand j’ai demandé deux ognons, il m’a demandé : « jaunes ou rouges ? ». Car il produisait les deux.

Alors : « Avec une lettre en moins, ça change le bilan carbone ? »

ognon rouge Égypte

 

Professionnalisme et pédagogie n’empêchent pas la réflexion et l’engagement.

Yves Agnès, ancien directeur du CFPJ et longtemps rédacteur en chef au Monde était à Nantes la semaine dernière, à l’invitation de l’Observatoire des médias de l’Université permanente. Son thème : « La déontologie des médias, progrès ou régression ? » Malicieux, il nous a d’ailleurs laissé conclure nous-mêmes à la fin de son intervention.

Avant sa conférence, je suis allé le saluer et lui dire que j’utilise avec beaucoup de profit son « Manuel de journalisme » dans mes cours, et que je m’étais aussi beaucoup servi dans le passé de son livre « L’entreprise sous presse », consacré aux journaux d’entreprise. Il m’a dit que ce livre, en particulier, lui avait coûté énormément de travail. Quant au « Manuel », il en est maintenant à sa troisième édition, avec notamment des compléments sur le journalisme internet. Il avait une façon amusante de me pointer du doigt en me parlant. Continuer la lecture

L’amour aveugle en réponse à la haine aveugle

Voici deux textes que beaucoup ont certainement déjà lu :

  • «C’est fou comme les détails sont importants, ce sont les trucs qui te raccrochent à la vie, la vie réelle»

Libération — 20 novembre 2015

Louise a 27 ans. Vendredi soir, elle était au concert d’Eagles of Death Metal au Bataclan. Une balle des terroristes l’a blessée au crâne. Elle livre à «Libération» ce témoignage écrit : «Pour que ceux qui veulent savoir sachent.»

«Vendredi, j’ai rejoint mon amie des concerts vénères, celle qui fait des pogos avec moi comme quand on avait 14 ans, celle que je perds dans la foule après la première chanson et que je rejoins à la fin avec un « c’était si BIEN, nan ? SI BIEN OUAIIIIS ! » Avant, on a bu des bières au bar. Le serveur n’avait plus de Picon, et ce genre de détail est important. Du coup, on lui a dit qu’on n’allait pas s’attarder. Ça faisait longtemps que je n’avais pas dit à autant de monde où j’allais et ce que j’allais faire. J’étais contente comme à mon premier concert. On entre dans la salle, on va prendre des bières coupées à l’eau (dédicace @MantraPaul). Et puis on se fait des copains de concert. Plein. Comme d’habitude. On prend des gens en photo avec leur téléphone. On se moque un peu de ceux qui font semblant d’avoir un ami devant pour gruger deux rangs. On est au milieu de la salle quand le concert commence. Avec le mouvement de la foule, je perds ma pote, comme d’habitude, et je me retrouve devant le bassiste, à droite de la scène, au deuxième-troisième rang. Le concert commence, la foule, le bonheur. Entre les morceaux, je raconte à une fille à quel point le chanteur est sexy. On rigole. Le groupe joue Save a Prayer, de Duran Duran. Alors on chante fort en croisant nos bras sur nos cœurs. Continuer la lecture

« Son nom est ce soir sur toutes les lèvres. »

BFM TV, ce soir 22h. Un bellâtre blond prend son élan pour lancer cette phrase d’une absurdité rare : « Son nom est ce soir sur toutes les lèvres : Karim Benzema. » Désolé, je n’ai pas écouté la suite. Je n’ai pas besoin d’en savoir plus : une affaire de chantage, une vidéo intime restée sur le portable de Valbuena, 3 maîtres-chanteurs, Benzema qui s’en mêle. Continuer la lecture

Les têtes de gondoles aussi…

Hier, je vous parlais des jeunes journalistes mal payés de BFM et i-Télé. Aujourd’hui, force est de constater que les présentateurs des journaux du matin poursuivent sur la même lancée : « Ce matin, Moirans se réveille en état de choc, etc. » Vous pourriez l’écrire vous-mêmes tellement c’est prévisible. Les chaînes généralistes prolongent ce traitement de l’information : France 2 nous dit à 13h que « la situation est confuse ». On peut remarquer le même flou qu’hier soir : un restaurant saccagé et deux barricades faites de carcasses de voitures prises dans une casse et enflammées, cela ne veut pas dire qu' »une partie de la ville a été mise à sac ». Et pour préserver cette interprétation, on nous montre une profusion de plans étonnamment serrés. Continuer la lecture

La « bêtise » de certains jeunes journalistes

Je ne suis plus motivé pour traiter le sujet. C’est devenu répétitif…

BFM TV et I-Télé annoncent toutes les deux qu’une partie du centre ville de Moirans a été mise à sac par des gens du voyage. Lorsqu’on écoute les détails, on apprend que : 1) un restaurant proche de la gare a été saccagé ; 2) une barricade de voitures enflammées a bloqué les voies de chemin de fer cet après-midi ; 3 ) une barricade du même type a été érigée sur la départementale menant au centre ville ; 4) ces deux barricades ont été constituées à partir de voitures prises dans une casse.

Pourquoi les deux chaînes dramatisent-elles l’événement à ce point ? Je suppose que : 1) elles prennent toutes les deux pour source une même dépêche d’agence indiquant qu' »une partie du centre ville a été mis mis à sac », ce qui en dit long sur le discernement et la capacité d’analyse de certains journalistes… ; 2) elles cherchent à mettre en avant le caractère spectaculaire de l’événement (les barricades en flammes constituent de belles images pour cela), et à le « vendre ».

On ne peut même pas dire que l’information est « manipulée ». Des journalistes mal formés déforment eux-mêmes l’information en suivant une pente « conformiste » et « spectacularisante ». Flaubert appelait cela – ou du moins l’équivalent à son époque – de la « bêtise ».

La notion d’angle journalistique : Gilles Deleuze, Akira Kurosawa

Depuis 50 ans environ, le principe de l’information journalistique a changé. Le but n’est plus d’épuiser les données de l’événement afin d’en donner une vision « objective ». Objective comme l’étaient la physique, la chimie ou la médecine au 19e siècle, c’est-à-dire que l’observation tentait de se rendre indépendante de l’observateur (et de sa subjectivité). Le même résultat devait être obtenu quel que soit l’observateur. C’est en grande partie ce qu’on appelle le positivisme. Continuer la lecture

Une sociologie des zombies

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Une sociologie des zombies

Voici un excellent article paru aujourd’hui sur le blog de Nicolas Roméas sur Mediapart : Yanis et les zombies. Nicolas Roméac est le directeur de la revue Cassandre.

L’utilisation de la catégorie « zombie » pour analyser des comportements sociaux n’est ni une plaisanterie, ni une forme de paresse intellectuelle pour s’éviter de recourir à des concepts plus élaborés. J’ai déjà cité l’ouvrage de Maxime Coulombe, Petite philosophie du zombie, qui en montre toute la richesse. Toujours dans le prolongement, d’ailleurs, des réflexions de Walter Benjamin il y a un siècle sur l’appauvrissement de « l’expérience communicable » (Le narrateur, traduction de Der Erzähler. Betrachtungen zum Werk Nikolai Lesskows), ainsi que de Giorgio Agamben. Continuer la lecture