Jour de manif, ou pour être plus précis, jour de débat parlementaire sur lequel les organisations lycéennes, notamment, espéraient peser en manifestant. Roland Barthes écrivait en 1973 « Système de la mode », en se contrefichant certainement de la mode elle-même, et en se passionnant pour les discours qu’elle suscite.
J’espère faire de même à propos de la violence dans les dernières manifs nantaises. Je ne m’en fiche pas, d’ailleurs. Je veux seulement dire que ce qui m’interpelle, ce qui me fait réfléchir, c’est ce qu’on en dit : les mots utilisés pour la dire.
Dans Ouest France d’aujourd’hui, un article cite la Coordination lycéenne : « Il y en a qui cassent les vitrines. L’État, lui, casse le Code du Travail. » Comme je le disais dans mon dernier post, des glissements comme celui-ci finiront peut-être par rétablir dans la sémantique de la langue française, un rapport entre les mots « casser » et « casseur » qui les libérera d’une emprise qui dure déjà depuis plusieurs décennies : depuis l’invention, en 1970, du mot « casseur » par Jacques Chaban-Delmas, alors Premier ministre.
Tout à l’heure, une nouvelle formule attire mon attention, venant toujours de Ouest France, sur « maville.com » : « Les policiers pensent tenir un jeune homme de 20 ans soupçonné d’avoir dégradé plusieurs panneaux publicitaires sur le cours des 50-Otages. » Là encore, le jeu de ping-pong s’impose : ce jeune homme, dont je ne sais rien, dégrade des panneaux publicitaires ? Quel scandale en effet ! « Scandale », comme un nom de parfum ! Dégrader des panneaux publicitaires ? Mais, cher ami, exactement ce que nous inflige cette pub omniprésente et sans vergogne, qui cherche à nous faire acheter – ou à nous fidéliser, ou à nous faire essayer -, des produits inutiles, hors de nos moyens, fabriqués avec un cynisme que les cours de français de Seconde (Éluard !) et de Première (Camus !) ne parviennent plus à endiguer. Une pub conçue par des jeunes gens issus des Écoles de Commerce ou des Beaux-Arts pour des directeurs commerciaux grimpés là à la force de leurs poignets velus, qu’ils méprisent, comme ils méprisent les spectateurs, dégoûtés d’eux-mêmes comme des produits, des marques, des annonceurs. Dégoûtés, oui. Vous avez vu, ou lu, « 99 Francs » de Frédéric Beigbeder ? Ce n’est pas jeune ! Que cela serve au moins à cela, à vous faire comprendre le dégoût que génère la pub chez ceux qui la font, au-delà des images lisses, des images de « mode », pour en revenir à Barthes.
Qui dégrade ? Qui est dégradé ? Et, bon sang !, pourquoi l’idéologie véhiculée par cette petite musique insidieuse de la pub, entre autres, s’est-elle répandue à ce point que mes étudiants nous considèrent désormais, moi et mes semblables, comme des distributeurs automatiques, des juke-box, des prestataires de service. C’est concret, c’est quotidien. La pub a un effet sur les comportements des gens, oui. Elle ne fait pas acheter, non, elle ne fidélise pas : elle rate son objectif. Mais elle atteint d’autant mieux un autre résultat : elle DÉGRADE.
C’est tout.