L’atelier d’écriture « Qui suis-je », initié par la Direction culture et initiatives de l’Université de Nantes et animé par l’écrivain Laurence Vilaine¹, a mené courant novembre 2015 ses participants à la Gare de Nantes. Inspirés par les lieux et orientés par quelques consignes simples, Lisa, Manon, Pierre-Olivier, Apolline et Josselin ont laissé leur ressenti, leurs rêveries ou leurs observations guider la plume. Voici quelques extraits des textes qu’ils ont souhaité partager.
Une valise à la main. Une valise sophistiquée comme on en voit partout. A roulettes. Facilement transportable. J’aimais bien les valises plates et rectangulaires comme on n’en voit plus. A la fois remplies de vie, de vide et de rien. Elles sentaient une époque et le vieux tchou-tchou des trains-trains quotidiens. Ici, tout est moderne. Même ce temps qui est de plus en plus vieux, de plus en plus loin.
Apolline MOTTAS
La ville aux mille merveilles. Des couleurs dans les fanions suspendus entre les fenêtres, des grelots dans les cheveux des dames. On se croirait à la fête des fous. Dans les moindres petites rues, on peut acheter un gorille, un python de 14 mètres, un de ces tapirs sans défense. Les hommes paraissent si bêtes que les bêtes semblent humaines. Je marche dans une flaque douce, j’écoute les odeurs, je vois les sons qui m’environnent ; je goûte à l’immortalité de la ville aux mille merveilles.
Lisa LAURENT
Il est 18h57.
A-t-on été suffisamment nombreux à souhaiter un chant ?
Gâché par la voix cristalline et surfaite de ce robot féminisé. Ça les arrange bien, de robotiser au féminin.
Figés, pensifs, fatigués… En attente. Qui est là ? Non non, je vois bien, je veux dire : qui l’est vraiment ? On doit être plusieurs à se sentir seul, moins à se sentir seul et bien à la fois.
Quel chemin tu vas prendre ? Celui d’un éclat de rire ? Celui de l’empressement ? De l’impatience et de la fuite ?
Parce que tu as peut-être peur du vide toi aussi ?
Si tu t’inquiètes pour le rail ne t’en fais pas, lui, il sait où il va.
Manon COUEDEL
Au bruit assourdissant de cent trains en partance
Une foule anonyme envahit le quai noir
Les yeux se tournent et puis on se dit au revoir :
Quand le soir est venu se creuse la distance.
Un géant d’acier bleu fait par intermittence
Le grondement du rail issu d’un laminoir
De Lorraine – ou d’ailleurs – et son wagon dortoir
Porte des songes, errante et sombre inconsistance.
Une brèche en la brume, un long cri de métal
Va transpercer la nuit de son élan brutal
Au fer étincelant creusé dans son sillage.
Ceux qui sont arrivés ont un regard brillant.
Das Reisenfieber ! La fièvre du voyage !
Ivresse d’être libre un jour en s’éveillant.
Pierre-olivier TERRISSE
Au cœur du brouhaha des attentes ferroviaires une mélopée androïde, d’une bouche invisible dans le ciel de métal, embrasse les protagonistes. Dans le hall principal, dans le hall secondaire, dans les couloirs, sur les quais, dans les souterrains et jusque dans les lieux d’aisance l’on s’adresse à vous sans vous voir, sans vous connaître, sans vous nommer. Comme un cœur impatient devant l’être aimé qui prend mille détours pour se livrer, le voyageur attend, fébrile, l’instant magique où il sera touché, lui et pas un autre. Un mot, un chiffre, un signe : il est l’élu. Les invites de la voix chaude ont force de loi et les secrets qu’elle lui révèle le mettent en branle. Où on le dirige il fera diligence.
Dans le royaume de l’attente, les destins se croisent sans se nouer. Il y a ceux qui partent et répondront bientôt aux sirènes de l’aventure ; ceux qui arrivent enfin, en résonance graduelle avec le flux ; ceux qui ne partiront jamais et n’ont pour seules valises que celles que leur yeux éteints couronnent sans noblesse ; ceux qui n’arriveront plus, emportés avant l’heure par des trains sans retour ; ceux qui partirent il y a longtemps et hurlent alentour leurs épopées rêvées. Ceux qui sont là sans vraiment y être, le regard avalé par un ciel miniature d’étoiles ordonnées, de constellations mouvantes et de sourires tactiles.
Josselin GESREL
¹ Laurence Vilaine est écrivain. Le silence ne sera qu’un souvenir est son premier roman (Gaïa, 2011 / Babel, 2014), récompensé par le Prix des Grandes Écoles et le Prix ENS Cachan 2012.