Le cinéma est ailleurs

Entre le 13 et le 18 février derniers se tenait au Katorza, célèbre cinéma d’art et d’essai de Nantes, le festival Univerciné russe. Ne connaissant rien au cinéma russe, c’est par pure curiosité que je suis allée voir les deux films de la programmation dont les synopsis m’inspiraient le plus : « Allume le feu! (Жги!) » de Kirill Pletnev et « Rock (Рок) » de Ivan Chakhnazarov. J’y ai découvert une sensibilité et une façon d’appréhender les choses et de traiter les sujets qui m’ont beaucoup plu.

Univerciné, qu’est ce que c’est ?

Univerciné, c’est une collaboration entre la Faculté des Langues et Cultures Étrangères de l’Université de Nantes et le cinéma Katorza qui prend la forme d’une saison cinématographique unique en France. Partagée en quatre temps au long de l’année universitaire, elle met à l’honneur les cinémas allemands, britanniques, russes et italiens lors de festivals. Ces événements ne se résument pas à la projection de films, ils sont aussi un moment de rencontre et d’échange avec les acteurs, réalisateurs ou producteurs. Ils prennent également la forme d’une compétition puisque lors de chaque festival, un film est récompensé et sélectionné pour prétendre au Prix Univerciné International. Le prix est remis à la fin de l’année universitaire au meilleur des quatre films récompensés au cours de la saison. Pour le moment, ce sont « Les Hannas » de Julia C. Kaiser (Allemagne), Butterfly kisses de Rafael Kapelinski (Royaume-Uni) et « Comment Vikta a emmené Lekha chez les invalides » de Aleksandr Khant qui sont en lisse.

Comment Vikta a emmené Lekha chez les invalides de Aleksandr Khant , gagnant du prix Univerciné lors du festival Univerciné russe.

Allume le feu !

Premier film du réalisateur et acteur Kirill Pletnev (qui n’a malheureusement pas pu être présent pour l’échange post-projection), « Allume le feu ! » raconte l’histoire d’ Alevtina Romanova, surnommée « Romachka » (marguerite) par ses amis. D’apparence peu féminine, cette chef-inspecteur dans une prison pour femmes possède une voix de chanteuse d’opéra. Malgré tous ses efforts pour se cacher quand elle chante, une des prisonnières la filme en douce avec son portable et poste la vidéo sur internet.

La vidéo fait sensation (plus d’un million de vues) et Alevtina est invitée à Moscou pour un concours de chant télévisé : «Allume le feu». Elle n’est pas du tout prête pour le concours et n’est pas aidée par son mari autoritaire qui refuse qu’elle se rende à la capitale pour chanter. La seule personne susceptible de l’aider à préparer l’extrait de Tosca (opéra en trois actes de Giacomo Puccini) qu’elle compte interpréter lors du show n’est autre que la prisonnière qui l’a filmée, Maria Star (Victoria Isokova), qui était chanteuse avant de finir en prison.

On suit alors l’évolution physique et mentale d’Alevtina qui assume de plus en plus sa féminité et qui s’émancipe petit à petit de l’autorité des hommes qui l’entourent. On découvre une femme nageant dans le monde très masculin des pénitenciers à la fois forte, fragile et sensible. Très justement interprété par Inga Oboldina , déjà présente sur un court métrage de Kirill Pletnev (également sur le monde carcéral) et plusieurs fois récompensée pour son interprétation, le personnage principal est accompagné et soutenu par plusieurs autres femmes de caractère. Serait-ce un film quelque peu féministe ?

Une chose est sûre, c’est qu’ « Allume le feu ! » est un long métrage juste et émouvant. Les touches d’humour y sont toujours naturelles, spontanées. Le visuel est travaillé et alterne des scènes à lumière naturelle, presque froide avec des scènes, souvent dédiées au chant, illuminées de spots de couleurs chaudes. J’ai également apprécié un certain parallélisme, tant spatio-temporel que musical, entre les scènes. La bande-originale est variée, puissante, parfois intense.

Un très beau film selon moi, très loin des clichés que l’on peut se faire de la Russie (Poutine n’est évoqué qu’une seule fois et je n’ai repéré aucune bouteille de vodka dans les mises en scènes).

Maria Star (Victoria Isakova) et Alevtina Romanova (Inga Oboldina)

Kirill Pletnev, le rélisateur

Rock

Réalisé par le jeune Ivan Chakhnazarov (fils du réalisateur Karen Chakhnazarov), ce road-movie aussi frais que drôle met en scène trois musiciens de rock amateurs qui se voient proposer l’opportunité de jouer pour une célèbre radio à Moscou. S’en suit un périple aux situations plus loufoques les unes que les autres : témoins de la mort présumée d’un chauffeur de poids lourds, poursuivis par un tueur à gage ou encore faits prisonniers d’une secte faisant des rondes autour d’un feu, Séva, Gocha et Rapiot vont aller de Charybdes en Scylla.

Tout cela semble improbable me dites-vous ? Pas tant que ça quand on sait qu’en russe, «rock» renvoie non seulement au style musical mais aussi à la destinée, à la fatalité. Cette même fatalité est d’ailleurs, en plus du voyage, le thème principal du film, autant porté par les trois personnages principaux et leur aventure que par les individus qu’ils rencontrent. J’ai beaucoup ri pendant le film. Les personnages sont attachants et on s’identifie facilement à leurs personnalités, toutes trois différentes.

Gocha (Dmitri Tchebotarev), Séva (Kirill Frolov) et Rapiot (Ivan Ivachkine)

Cette fois ci, le réalisateur (très content que son premier film soit allé jusqu’en France) était présent et a pu répondre aux questions du public.

Les acteurs sont-ils musiciens professionnels?
– Non ils sont juste acteurs mais savoir jouer d’un instrument était une des conditions pour être pris. Un des acteurs a d’ailleurs menti au casting en disant qu’il savait jouer de la basse alors que pas du tout. Pendant les 2 mois de tournage il a beaucoup progressé !

 

Comment percevez vous l’accueil du film par le public français ?
– Le public français a l’air de bien recevoir le film, je pense que cela montre que nos cultures sont proches. Peu de films russes sont diffusés en France et ce genre de festivals aide à mettre en avant le cinéma russe mais je pense que plus de films russes devraient être distribués en France.

Image extraite du film « Rock »

Ivan Chakhnazarov lors de l’échange qui a suivi la projection de son film

La Russie autrement

En sortant de la projection de « Rock », j’ai abordé une dame qui tenait le stand du festival :

Comment ce festival peut aider à voir la Russie différemment et la séparer des clichés qui l’entourent ?
– Il faut aller voir les films. Ils sont tous différents. Certains s’appuient sur les clichés mais d’autres montrent la vraie vie, la réalité. C’est en voyant ces films que l’on peut voir la Russie autrement.

En effet, ce festival m’a fait découvrir une facette de la Russie que je ne connaissais pas et que j’ai trouvé très tendre, très éloignée des clichés que l’on colle souvent à ce pays et à ses habitants. Car la Russie ça n’est pas que Poutine, la vodka, l’annexion de la Crimée, l’intervention en Syrie ou le Bolchoï ; c’est aussi un peuple, une langue (très belle chantée) une sensibilité et une fibre artistique propres. Le cinéma russe propose un contenu varié pour tous les âges et tous les goûts. La preuve en est de la diversité des films proposés lors du festival Univerciné du Katorza : de la comédie dramatique au film d’animation en passant par le documentaire ou le film de science-fiction, il y en a pour tout le monde.

Le septième art aurait-il trouvé un moyen pour réconcilier pros-russe et opposants ?

Si vous avez raté le festival, l’Univerciné russe revient l’année prochaine pour continuer à promouvoir le cinéma russe. Et pour ceux qui souhaitent découvrir de nouveaux horizons cinématographiques, sachez que l’Univerciné italien c’est du 15 au 18 mars prochain !

Alexia Dupont, atelier expression et médias

Alexia DUPONT

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