En 1978, le metteur en scène Antoine Vitez entreprenait un grand projet, celui de monter successivement quatre célèbres pièces de Molière au Festival d’Avignon : L’École Des Femmes, Le Tartuffe, Dom Juan et Le Misanthrope. En 2015, Gwenaël Morin s’est inspiré de ces travaux pour créer sa propre fresque théâtrale composée des mêmes pièces montées dans le même ordre. Sa troupe, composée pour l’occasion de jeunes élèves du Théâtre du Point du Jour de Lyon, a posé ses valises au Théâtre universitaire de Nantes en novembre pendant deux semaines. Retour sur l’une de leur représentation, celle de Dom Juan, effectuée jeudi 26 novembre.
Dom Juan, qu’est-ce que c’est ?
C’est l’histoire d’un homme qui séduit n’importe quelle femme pour son plaisir personnel. Il ne vit que pour leur chair, et se fiche des sentiments, lui-même en étant dépourvu. Beau parleur, maître exceptionnel des mots, Dom Juan charme et convainc n’importe qui. Son rêve : les posséder toutes. « S’attaquant à l’aristocratie comme au peuple, à la morale comme à la religion, sa révolte prend de la grandeur dans l’excès », résumait le spécialiste Georges Couton.
Gwenaël Morin raconte l’histoire à sa manière : les rôles ne respectent pas les genres, un homme peut être joué par une femme, et inversement ; les costumes sont quasi-absents ; le décor est très simple, les comédiens ne s’aident que de quelques accessoires… Cette pièce fonctionne sur le symbolisme. C’est comme si nous étions dans une chambre d’enfants, et que nous assistions à une de leur grande histoire qu’eux seuls sont capables de raconter à l’aide de rien.
Le 4ème mur totalement brisé
Lorsque les spectateurs arrivent dans la salle du TU, un petit groupe de personne les accueille aimablement. Ce sont les comédiens. Habillés normalement, sans maquillage, on pourrait les confondre avec des membres du personnel du théâtre. On se pose la question d’ailleurs.
Le spectacle commence, et les lumières ne s’éteignent pas, comme le veut pourtant la convention. Ce sera d’ailleurs le cas pendant tout le long de la pièce.
Les comédiens n’hésitent pas, lorsqu’ils ont un trou, à dire franchement « texte » afin que le souffleur, présent sur le plateau, leur lise clairement la suite. C’est assumé, et parce que c’est assumé, cela ne choque pas. Nous sommes dans l’ici et maintenant, et cette pièce de théâtre s’assume comme telle. Le public sait qu’il est au théâtre, il sait qu’on lui ment, alors pourquoi le cacher ?
Tout est dit comme dans le livre : la fin et le début de chaque acte est annoncé. Sganarelle, le valet de Dom Juan, est joué par une femme et pourtant les accords n’ont pas été modifiés. Le spectateur connaît l’histoire qu’on lui raconte et Gwenaël Morin n’hésite pas à chambouler les codes du théâtre en montrant ce qui doit être caché et en cachant ce qui doit être montré.
Un art vivant
Le charme de la pièce réside d’abord dans le message véhiculé par le travail de Gwenaël Morin : raconter une histoire sans grand moyen, construire avec les accidents, ne pas avoir peur du spontané. Le théâtre est un art vivant, le théâtre n’est jamais parfait, et une pièce ne sera jamais la même d’un soir à l’autre.
La seule démarche de donner la parole à de jeunes comédiens en formation est également séduisante. Le metteur en scène leur offre une opportunité inouïe avec ce projet, et c’est exactement ce dont la jeunesse a besoin.
On passe finalement un très bon moment à redécouvrir l’histoire du séducteur le plus connu du monde, dans une mise en scène innovante, moderne et comique. Chapeau bas aux interprètes des personnages de Dom Carlos et Dom Alonse qui, par un jeu de diction et de corps inouï, ont plongé la salle dans un fou rire total à plusieurs reprises.
La troupe du Théâtre du Point du Jour apporte un mouvement de fraîcheur et d’innovation au théâtre en misant tout sur la proximité avec le public et sur la spontanéité de la scène.
Ce ne sont pas les plus grands qui font les plus grandes choses, ceux-là ont marqué d’une pierre blanche ma vision du théâtre.
Leonie Revillec