Et si on discutait de la discutabilité ?

Le 12 juillet 2016 : presque un an après la publication de ce post, l’une des étudiantes auteures du reportage commenté ici me demande de retirer ce texte afin que son nom et les références à un membre de sa famille n’apparaissent plus. Je devrais refuser.

Refuser, car l’université défend la même liberté d’expression que la presse, me semble-t-il, c’est l’une de ses valeurs cardinales. Et parce que réaliser un reportage dans le cadre d’une année d’études, c’est apprendre à exercer sa curiosité, son sens de l’écoute et sa liberté dans le choix d’un angle et d’un registre d’écriture. Pas à réclamer sous de très mauvais prétextes le retrait de textes et de la réflexion qui va avec.

Mais je crois au respect autant qu’à la liberté. J’ai décidé de retirer 7 lignes du texte ci-dessous, ainsi que le reportage et les noms des trois étudiantes qui l’ont réalisé. En dehors de cela, je maintiens la totalité de mon texte qui reste, je crois, largement lisible et compréhensible en l’absence du reportage. Supprimer ce texte aurait été un peu vexant, car il me semble particulièrement emblématique du type de réflexion mené dans ce blog sur le reportage et sur sa pédagogie, et de la fonction d’approfondissement liée au choix d’un angle.

J’ajouterai que certains étudiants jugent parfois leurs profs avec une sévérité que, par chance pour eux, nous n’avons pas à leur égard. Et que demander à un enseignant-chercheur de retirer un texte relevant à la fois de la pédagogie et de la recherche, c’est lui crever doublement le coeur… Continuer la lecture

La notion d’angle journalistique : Gilles Deleuze, Akira Kurosawa

Depuis 50 ans environ, le principe de l’information journalistique a changé. Le but n’est plus d’épuiser les données de l’événement afin d’en donner une vision « objective ». Objective comme l’étaient la physique, la chimie ou la médecine au 19e siècle, c’est-à-dire que l’observation tentait de se rendre indépendante de l’observateur (et de sa subjectivité). Le même résultat devait être obtenu quel que soit l’observateur. C’est en grande partie ce qu’on appelle le positivisme. Continuer la lecture

Une sociologie des zombies

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Une sociologie des zombies

Voici un excellent article paru aujourd’hui sur le blog de Nicolas Roméas sur Mediapart : Yanis et les zombies. Nicolas Roméac est le directeur de la revue Cassandre.

L’utilisation de la catégorie « zombie » pour analyser des comportements sociaux n’est ni une plaisanterie, ni une forme de paresse intellectuelle pour s’éviter de recourir à des concepts plus élaborés. J’ai déjà cité l’ouvrage de Maxime Coulombe, Petite philosophie du zombie, qui en montre toute la richesse. Toujours dans le prolongement, d’ailleurs, des réflexions de Walter Benjamin il y a un siècle sur l’appauvrissement de « l’expérience communicable » (Le narrateur, traduction de Der Erzähler. Betrachtungen zum Werk Nikolai Lesskows), ainsi que de Giorgio Agamben. Continuer la lecture

Grèce : les journalistes ne sont pas à la hauteur de l’enjeu

Les journaux papier et TV consacrent leurs unes à la Grèce depuis plusieurs semaines. L’enjeu est crucial, puisque les dirigeants politiques, qui participent à des négociations lourdes de conséquences, sont tenus par leurs opinions publiques, et que celles-ci sont pour une large partie informées et structurées par les médias.

Ecoutez ces micro trottoirs réalisés en Allemagne : « Ça suffit, on ne peut pas continuer à payer pour les Grecs, chacun doit payer ses dettes, il faut gérer son budget de manière responsable, ils ne sont pas sérieux… »

Ont-ils donc la mémoire courte !? L’Allemagne est justement le pays d’Europe dont les dettes – les dommages de guerre de la Seconde Guerre Mondiale + le financement de la reconstruction grâce au Plan Marshall – ont été d’abord, en 1953, repoussées jusqu’à une hypothétique réunification, puis purement et simplement annulées en 1990-91… Annulées ! Quant aux dettes de la Première Guerre Mondiale, elles ne sont rien de plus et rien de moins que les causes du nazisme. Le système scolaire allemand ressasse tout cela jusqu’à la nausée. Continuer la lecture

Zombidextre

Baptiste Gaudin et Charlotte Desmars, ‘Nantes : l’invasion démarre’, juin 2015

Voici donc le reportage des deux étudiants qui m’ont initié, en début d’année, à l’univers des zombies, et qui m’ont convaincu que le genre post apocalyptique dont il relève n’est pas un simple divertissement, mais une représentation amère de notre avenir (surtout celui des jeunes), dans un mode déréglé, chaotique, violent. Et une métaphore de notre présent, une protestation contre un système dans lequel la technologie, les rythmes imposés, l’obligation de performer, la consommation de masse, la culture de masse, tendent à transformer ceux qui n’ont pas cédé au burn out, en légumes, en « zombies » tout simplement, puisque le mot est entré dans l’usage. Continuer la lecture

Honte !

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En cette veille d’été, tout est en train de se jouer : la France a bloqué, illégalement, sa frontière avec l’Italie à Vintimille, afin d’empêcher quelques centaines de migrants de pénétrer sur notre territoire ; la Grèce est sur le point de faire faillite et Christine Lagarde admoneste ses représentants en leur disant : « L’urgence est de rétablir le dialogue, avec des adultes dans la pièce ». Continuer la lecture

Les ellipses dans le reportage et dans la fiction

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Les ellipses dans le reportage et dans la fiction

Ils ont bitumé la Terre, Gérard Cornu, février 2015

Je me suis décidé à publier sur ce blog la nouvelle que j’ai présentée dernièrement au concours « Trait d’union » organisé par l’université de Nantes. Nous voici revenus à la problématique que j’évoquais il y a un an à propos du texte de Gabriel García Márquez sur « le plus beau métier du monde ». Qu’y a-t-il de commun entre le reportage et la fiction ? Souvent des contenus, c’est le cas ici. Mais aussi des questions d’écriture largement partagées. Continuer la lecture

De Manche en Méditerranée : l’engagement et le sacrifice

L’actualité, comme une marée, nous dépose ce mercredi deux galets : Pierre Brossolette et Leoluca Orlando. Le premier était journaliste, résistant dans la France occupée : il « prend place » aujourd’hui au Panthéon. Le second est maire de Palerme, la principale ville de Sicile, 650 000 habitants. Continuer la lecture