« Il faut raconter un récit en donnant des clés aux téléspectateurs avec des moyens de syntaxe intelligibles, comme un prof d’histoire qui explique la guerre de Cent Ans ou le débarquement des Alliés. » C’est Gilles Bouleau lui-même qui s’exprime ainsi, dans un portrait de lui plutôt réussi publié par le Journal du Dimanche aujourd’hui.
Retraçant son expérience de correspondant à Washington, le présentateur du 20h de TF1 explique à Ludovic Perrin avoir « découvert l’espace mutant d’une information qui ne connaît plus de début ni de fin » : « Dans mon bureau, j’avais NBC. C’était en continu. Quand je regardais les journaux du soir, je me demandais comment ils avaient fait pour arrêter ce train fou. Avec quels moyens intellectuels, quelle expertise, quels chroniqueurs, quels reportages avaient-ils réussi à donner du récit à ce flux infini ? La question s’est posée à moi quand j’ai travaillé à la fois pour LCI et TF1. Les deux hémisphères devaient cohabiter. »
Car Gilles Bouleau (tel que le décrit Ludovic Perrin) ne fait pas que relater et expliquer. Il s’étonne.
« Une vraie éponge. » « Un œil neuf. » « Une capacité d’étonnement. »
Une image lui reste en tête : « Ted Kennedy ne parvenant pas à répondre à la question qu’un journaliste américain lui posa en 1980. ‘Pourquoi voulez-vous vous présenter ?’ Un gamin de 5 ou 6 ans eût pu la poser. C’est cet enfant que Gilles Bouleau cherche à redevenir tous les soirs devant des millions de téléspectateurs, à la recherche d’une vérité. »
(Ludovic Perrin, « Gilles Bouleau – À l’américaine », Le Journal du Dimanche, 28 septembre 2014)
Il y a déjà 10 ans que Patrick Le Lay, alors PDG de TF1, définissait comme du « temps de cerveau disponible » ce que la chaîne avait à vendre aux annonceurs. 10 ans que je n’ai plus cherché à savoir ce qu’il se passait sur cette chaîne et que je lui ai préféré le « service public », le journal de France 2. Et pourtant !
Il a fallu supporter David Pujadas, gratifié en 2010 de la « laisse d’or » du journaliste le plus servile… J’ai voulu faire une étude il y a 6 mois sur la pratique de l’interruption dans les interviews politiques. J’ai comparé deux interviews menées par Pujadas : le 10 mars 2014 celle de Jean-François Copé, et le 11 mars celle de Jean-Marc Ayrault. L’interviewé a-t-il le temps de finir sa phrase ? Combien de fois est-il interrompu ? L’interviewer prend-il soin d’annoncer son irruption (« hem ! hem ! »), et choisit-il ses moments (phrase de l’interviewé qui commence à devenir hésitante) ? Travail qui se révéla bien inutile. La différence de traitement des deux hommes politiques était une pure question de rapport de force. Pujadas s’acharne sur JM Ayrault, encore premier ministre, porteur d’un message complexe sur les écoutes téléphoniques de Nicolas Sarkozy et de son avocat, et gêné par les déclarations de sa ministre de la Justice, Christiane Taubira. Quant à JF Copé, interrogé d’abord sur ces mêmes écoutes, c’est lui-même qui aborde l’affaire Bygmalion (qui conduira à sa démission de la présidence de l’UMP un mois plus tard)… puisque Pujadas ne lui pose aucune question sur le sujet !! On verra opérer le rapport de force à nouveau quelques temps plus tard lorsque Pujadas reçoit Manuel Valls et se garde bien de le contredire.
Est-ce que je me laisse aller à devenir partial ? Je ne crois pas. Ce n’est pas être partial que de dénoncer ceux qui le sont et qui abusent d’une position de pouvoir pour imposer un traitement biaisé de l’information. Il faut bien que cela soit dit.
Toujours sur le service public, je n’ai pas digéré non plus, la semaine dernière, un simple adjectif proféré avec l’air de ne pas y toucher par Marie Drucker : « Nicolas Sarkozy fait son grand retour. » (+ sourire) Pourquoi ce retour est-il qualifié de grand ? Le retour de Nicolas Sarkozy : voilà une expression déjà lourde de sens. Le grand retour : c’est un abus, un faux syntagme figé qui véhicule en réalité un arsenal de connotations positives d’une façon indigne et manipulatoire.
J’ai perdu goût à regarder les journaux de France 2 (malgré tout le respect que je dois aux équipes qui y réalisent de beaux reportages et de belles enquêtes). Ça tombe bien : je vais voir un peu pendant quelques temps ce qu’il se passe actuellement sur TF1.