Nicole Klein, la préfète de Loire-Atlantique, dit ce matin que 27 squats ont été « déconstruits » à Notre Dame des Landes. Ce mot qui fleure bon la philosophie de Jacques Derrida (qui déconstruisait les textes pour en dévoiler les présupposés), suppose, si on l’applique à la mise à bas d’un édifice, un processus très ordonné qui « défait » étage par étage, élément par élément, souvent en vue de reconstruire ensuite. Cela ne cadre guère avec les images des engins de chantier arrachant, cassant, nivelant les matériaux dont était faite la ferme des Cent-Noms par exemple.
Le remplacement de « détruire » par « déconstruire » a une vertu « diplomatique ». Il s’imposera ou pas, comme d’autres avant lui. L’invention sémantique la plus durable et lourde de conséquences est ce mot « casseur », associé au départ à « payeur », créé de toutes pièces par Georges Pompidou en 1969. Son rôle, à lui, n’est pas diplomatique, mais idéologique, il procède d’une « lutte de classements » comme disait Bourdieu, afin d’inverser les connotations positives souvent associées à la violence populaire et estudiantine retournée contre les appareils répressifs de l’Etat depuis mai 1968. J’en ai déjà parlé dans des posts précédents.
Nous vivons en ce moment une guerre de la communication, à propos de l’évacuation de NDDL, des universités bloquées, de la grève des cheminots, de la crise des hôpitaux, de celle des EHPAD, des manifestations de retraités, des mouvements des éboueurs ou des caissières de supermarchés… Les journaux télévisés sont le terrain privilégié où se déroule cette guerre et les présentateurs, envoyés spéciaux, spécialistes divers, malgré leur niveau d’études en hausse depuis des années, ne semblent guère plus conscients que par le passé du sens et de la portée des mots qu’ils reprennent ou dont ils usent. La « pente » journalistique n’est pas une prise de parti, elle est constituée d’une multitudes de facilités, de paresses parfois, de gains de temps, d’inerties, dont le résultat, désastreux, est visible sous nos yeux dans une société qui a pratiqué la télévision de façon intensive depuis 50 ou 60 ans.
Une analyse de la portée idéologique des JT est assez facile à mener. Les journaux sont disponibles un certain temps sur internet, les analyses sont assez peu techniques. Il y faut juste du temps. Je vais démarrer ce travail en espérant que d’autres prendront la relève.
Voici les trois chantiers qui selon moi permettent d’avancer et de « déconstruire », pour de bon cette fois-ci et avec quelque succès, le discours des journaux télévisés :
- les créations lexicales – d’où elles viennent, qu’est-ce qu’elles modifient dans un champ lexical.
- les jugements de valeurs – « les prévisions de trafics sont un peu meilleures », « l’opération d’évacuation s’est soldée par un échec », etc. – Quelle vision de monde tracent ces jugements positifs ou négatifs portés spontanément, souvent sans mauvaise intention, par les journalistes, qui appliquent aux sujets politiques un peu les mêmes méthodes que pour la météo (beau temps / mauvais temps)
- Les choix d’angles pour traiter un sujet, l’angle étant le plus souvent traduit par une question qui « lance » le sujet – la « galère « des transports du point de vue des usagers, plutôt que les caisses de solidarité, les sacrifices des cheminots, les manifs communes cheminots / étudiants / hospitaliers… Ou encore le fait que la « galère » des transports (encore un mot qui s’est imposé) pendant les grèves n’est qu’une accentuation qui met en évidence celle de tous les jours de l’année, conséquence d’un aménagement du territoire laissé à la merci des spéculateurs et des financiers. Ou encore le fait que la « galère » en question est peut-être moins due à l’action des grévistes qu’à l’intransigeance de la ministre des transports et de son cabinet.
A suivre !
PS. Ces chantiers ne sont pas une attaque contre les journalistes. Ils s’adresse aux journalistes en fonction ou en formation pour les inciter à réfléchir à ces questions fondamentales concernant leur pratique professionnelle.