Hier soir, réunion annuelle des correspondants du journal. On passe une demi-heure debout dans un bureau à environ 25, puis le rédacteur en chef dit qu’il va faire un point en un petit quart d’heure avant que nous allions prendre l’apéro et dîner, mais que si nous avons des questions, il essaiera d’y répondre.
Il présente d’abord les nouveaux, dont moi. Il expose ensuite les chiffres (en hausse) des ventes du journal et des consultations sur internet. Il annonce que nos articles vont être « monétisés », c’est-à-dire vendus par packs de 4 ou 5. Lorsqu’il demande s’il y a des questions, je lève tout de suite la main. Je dis vouloir exprimer un souhait. Les titres des articles sont souvent modifiés et cela est source de nombreuses erreurs. Pour ma part, j’en compte une dizaine en 6 mois. Ma journaliste référente, debout légèrement en retrait à côté de moi, proteste. Je réponds que j’en ai la liste avec moi, mais que je ne tiens pas nécessairement à la montrer. Néanmoins, certaines de ces erreurs sont graves, comme sur les rythmes scolaires lorsque l’on annonce 4 jours au lieu de 4 jours et demi : c’est exactement l’inverse. Je sens de l’approbation. Quelqu’un parmi les journalistes plaisante en disant que c’était peut-être pour raccourcir le titre afin qu’il tienne sur une ligne : on supprime le « et demi » pour gagner de la place. J’ajoute que ce n’est pas la faute de la personne qui fait ces modifs, qui fait par ailleurs de l’excellent travail. S’il y a des erreurs, c’est qu’il y a des raisons à cela. Le journaliste n’est pas sur le terrain, il ne connaît pas le contexte de l’information, contrairement au correspondant, qui est par ailleurs amené à revoir ensuite les personnes interviewées. Tout cela est source d’erreurs. J’insiste encore sur le fait que les journalistes ne sont pas responsables. Cependant, il y a une solution très simple : soumettre les textes modifiés aux correspondants afin qu’ils les vérifient avant publication. Le rédacteur en chef répond « non » avec une vitesse qui me surprend. Il minimise le pourcentage des erreurs dans les articles ou les titres d’articles. J’ai beau jeu de répéter que j’en ai relevé une dizaine en ce qui me concerne. Une journaliste dit que c’est impossible de renvoyer tous les articles aux correspondants, que cela prendrait un temps énorme. Je n’insiste pas, les choses sont dites. Affaire à suivre.
Une correspondante expose un exemple de confusion dans le traitement d’une même info sur deux communes différentes. Je reprends la parole pour dire que puisqu’il a été question de « monétiser » nos articles, je demande qu’on nous attribue une augmentation de 100% pour fêter les 50 ans de mai 68 et le démarrage d’un nouveau mouvement en avril 2018. La plupart des présents rient de bon cœur et quelqu’un cite le slogan « soyons réalistes, demandons l’impossible ! » J’ajoute que ce qui prête à rire maintenant sera peut-être devenu une évidence dans 2 ou 3 semaines si le mouvement se poursuit. Le rédacteur en chef explique que si nous faisons ce travail, ce n’est pas pour l’argent, et que les nouveautés comme la monétisation des articles ont pour but d’assurer la survie du journal.
Dans une brève discussion, il est question des reportages réalisés par les journalistes de la rédaction et de la nécessité de prévenir les correspondants. Cela est fait en général, mais il y a des ratés. Plusieurs correspondants tiennent à complimenter ma journaliste référente pour la qualité de son travail et pour son écoute.
Je reprends la parole pour dire que j’ai aussi du positif à mentionner. Le rédacteur en chef adopte une expression de visage qui semble vouloir dire « quand même ! » Lorsque j’ai été amené ces dernières semaines à traiter des sujets polémiques, mes articles sont parus intégralement et je me suis senti soutenu par la rédaction. Les choses que j’ai écrites ne seraient pas passées dans certains autres journaux. Je conclus en racontant que le maire de ma commune m’en veut désormais beaucoup et m’a poussé dimanche dans les marches de l’église, ce qui constitue une tentative de meurtre. Réactions tour à tour amusées, choquées et compatissantes…
J’apprends ensuite au cours du repas que les correspondants d’un autre journal sont payés le double par rapport à nous. Ma revendication n’était donc pas du tout irréaliste.
Une précision : ce n’est pas la première fois que je réclame de pouvoir contrôler les articles lorsqu’ils ont été modifiés par la rédaction. Je l’avais demandé par mail en février à ma référente… qui ne m’a pas répondu. Idem lorsque j’ai très poliment fait remarquer l’erreur entre 4 jours et 4 jours et demi pour les rythmes scolaires.
Bonjour David,
Le maire est un monsieur âgé, aux manettes depuis 23 ans. Il aime bien qu’on soit d’accord avec lui. Les premiers mois, nos relations ont été assez paisibles : il essayait de me convaincre de la justesse de ses orientations et je posais des questions. Au moment de ses vœux en janvier, j’avais écrit un article parsemé de quelques remarques ironiques, mais il était beaucoup trop long (personne ne m’avait jamais indiqué une taille limite des papiers) et ma référente l’a réduit de moitié en supprimant en premier lieu tout ce qui était sujet à controverse. Du coup, il en a été très satisfait et son chargé de com me l’a dit.
En mars, j’ai écrit deux papiers qui lui ont déplu. L’un sur une réunion publique destinée à faire s’exprimer les habitants sur l’avenir de la commune. Je lui avais demandé à la fin quelles propositions l’avaient le plus intéressé et il m’avait répondu qu’il n’y avait rien de nouveau dans ce qui avait été dit, mais que cela lui permettrait de répondre par écrit « à toutes les fausses questions ». Je ne pensais pas reprendre cette phrase assez méprisante due soit à une saute d’humeur, soit à une conception défensive de sa fonction où toute proposition qu’on lui fait apparaît comme un défaut de son action passée… Mais finalement, il m’a semblé qu’elle méritait d’être connue du public et je l’ai citée telle quelle en fin d’article, sans aucun commentaire. L’autre papier, une semaine plus tard, relatait son affrontement avec une conseillère d’opposition en conseil municipal sur deux points d’ordre du jour. Là aussi, je n’ai fait que répéter des phrases qu’il avait dites. Mais lorsque la conseillère dit « Je ne vous jette pas la pierre », et qu’il répond « Moi non plus, mais il m’arrive d’y penser », cela jase ensuite un peu au bistrot ou ailleurs. De même, lorsqu’il conclut : « Je ne dirai plus rien. Il n’y aura plus de débat. Je gérerai les dossiers et garderai tout cela pour moi. Vous avez gagné ! », cela choque aussi. J’ai aussi écrit : « Se tournant vers le banc de la presse, il ajoute : « Notez, Monsieur de la presse. L’opposition, c’est : propagande et posture ! » » Une mise en abyme qui n’est bien sûr pas à son avantage, mais il faut dire qu’il l’a cherché…
Je n’en ai pas fait une stratégie délibérée, mais j’ai constaté à l’usage que répéter mot pour mot les déclarations d’un politique peut être un moyen de montrer « son vrai visage », comme me l’a dit quelqu’un au bistrot. Il y a deux semaines, j’ai croisé le maire le samedi et il n’avait pas encore lu le deuxième papier. Il s’est montré plutôt aimable. Par contre, le dimanche, je suis allé couvrir la remise d’un ouvrage sur l’histoire de la paroisse à la fin de la messe de Pâques. Je me suis approché pour lui poser une question après la correspondante de XX. Il m’a répondu « non, vous, vous cherchez à me faire dire des choses. » J’ai commencé à lui répondre, mais il m’a dit « non, c’est tout. Allez. Tenez, c’est Pâques. Alors, joyeuses Pâques ! » Puis, il m’a pris le bras droit à deux mains et m’a poussé pour signifier que la conversation était terminée. Nous étions devant l’autel et il y là 3 marches. Il m’a donc poussé dans les marches, sans grand risque pour moi il est vrai, car il n’a pas vraiment de force, mais j’en ai tiré cette anecdote qui m’amuse, en plaisantant sur une tentative de meurtre en pleine église.
Son argument selon lequel je veux lui faire dire des choses est un reproche de manipulation. La manipulation = faire dire, faire faire, subrepticement. Cela ne correspond pour moi à aucune réalité. Il me rend responsable des choses qu’il m’a dites (1er article), ou qu’il a dites en ma présence (2e), alors qu’il est un homme public, maire depuis 23 ans : il sait ce qu’il dit, à qui il le dit, et il ne m’a pas dit à la fin de la réunion publique, par exemple, que sa réponse était « off », sinon, je l’aurais respecté. Il semble que j’apparaisse désormais à ses yeux comme un personnage maléfique, à l’affût des écarts ou maladresses qui pourraient lui échapper. Il applique une sorte de degré zéro des relations presse où tout est jugé sur une échelle du favorable et du défavorable, et où l’on voudrait que la presse ne relate que du favorable.
Ces histoires de correspondant peuvent sembler anodines. Mais 1) toute la presse régionale repose sur le travail des correspondants locaux, et 2) la vie politique locale est le premier échelon, indispensable, de la vie politique au sens plus large, du droit, de l’implication des personnes dans la gestion des institutions…
Peut-on savoir plus sur cette « tentative de meurtre » et la raison de celle-ci ? Je n’aurai jamais imaginé que le travail d’un correspondant comporte des risques pareils.