Parasitisme

Je vais faire vite, car je manque de temps ce soir, mais je reprendrai cet article plus tranquillement dans deux ou trois jours. Aujourd’hui, je suis furieux, tout simplement. Furieux de constater à nouveau l’arrogance des journalistes face aux hommes politiques. L’excuse est facile de prétendre jouer un rôle destiné à « casser » la langue de bois des  politiques, et de s’octroyer dès lors le droit de les malmener, souvent grossièrement, lorsqu’ils acceptent une invitation sur un plateau de télévision.

Aujourd’hui donc, c’est Yannick Jadot, d’Europe Écologie Les Verts, qui vient sur le plateau de France 2 annoncer le retrait de sa candidature à la Présidentielle au profit de Benoît Hamon. Julian Bugier lui demande d’emblée quelle décision il a prise cet après-midi après leur rencontre. Y. Jadot aurait peut-être mieux fait de répondre d’emblée « oui, je retire ma candidature » et d’argumenter ensuite. Mais il commence par expliquer les raisons de son retrait. Il le fait de façon concise en quelques phrases qui vont à l’essentiel. Au bout de 45 secondes environ, J. Bugier piaffe déjà : « Votre décision !? »

S’il fallait démontrer que les médias privilégient le spectaculaire au détriment de l’argumentation, on n’en aurait pas de meilleur exemple. Y. Jadot reste plus calme que moi et poursuit son raisonnement sous la pression du présentateur, puis annonce son retrait au bénéfice de B. Hamon. J. Bugier redevient incisif : « Quelles garanties ? » C’est le deuxième chapitre du traitement médiatique de la politique. Après le privilège de l’événementiel sur les explications, la réduction de la politique à un jeu de stratégie, c’est-à-dire une dépolitisation de la politique. Les journalistes de télévision doivent proposer une information qui ne soit pas partisane. Il leur est ainsi difficile d’entrer dans le détail des contenus du débat politique où le choix de chaque mot est un piège. En revanche, parler de tactique, de coups, en un mot analyser les enjeux de stratégies, voilà une façon de parler de politique d’une façon non politique, et qui a fait ses preuves. Le paradoxe, c’est d’imposer aux hommes politiques cette conception faite pour résoudre un problème spécifique aux journalistes. La suite est à cet égard un modèle du genre. Sur chaque point, – abandon du nucléaire d’ici 25 ans, aéroport de Notre Dame des Landes, etc. – Y. Jadot s’efforce de fournir une phrase d’explication et J. Bugier le presse de passer déjà au point suivant.

D’ailleurs, J. Bugier dit ensuite quelque chose comme « Soyons concrets », laissant supposer que Y. Jadot se complait dans l’idéologie. Il ne dit pas « pour que les gens nous comprennent bien », ce serait du Pujadas. Ni « ce que les gens veulent savoir », préempté par Léa Salamé. En tous cas, le débat politique est censé se plier aux 5W, le B. A. BA du journaliste débutant.

Puis vient le coup monté. « Jean-Luc Mélenchon est dans nos studios, il sera interrogé ce soir par David Pujadas et Léa Salamé. Il vous écoute : que voudriez-vous lui dire ? » Le « Il vous écoute » est tout droit sorti d’une émission de télé-réalité ! Y. Jadot joue le jeu. Il le fait même de façon convaincante. Juste un peu trop longue, et J. Bugier tente de lui faire abréger son propos. Néanmoins, il a le sourire. Le coup médiatique a réussi.

Il conclut : « Il vous répondra tout à l’heure. Merci d’avoir fait cette annonce sur France 2. » Ah ! Mais bien sûr ! Ce chapitre nous manquait encore. C’est sur France 2, de la même façon que toutes ces infos « exclusives » estampillées BFM TV, M6, etc. Est-ce une information ? Cela intéresse-t-il le spectateur ? Cela l’aide-t-il à « mieux comprendre les enjeux de cette élection » ? Of course not, c’est de la pub !

L’affaire a été rondement menée. Mélenchon sera interrogé une demi heure plus tard sur la même antenne, qui apparaît comme le lieu où l’information se fait sous nos yeux admiratifs.

J’ai écrit mon premier article de recherche en 1981 à propos de la campagne électorale qui opposait François Mitterrand à Valéry Giscard d’Estaing. Aussi incroyable que cela puisse paraître, rien n’a changé depuis. Je vais vous mettre le texte de cet article ce week-end, il s’intitulait « La mise en scène télévisée du politique ».

A 27 ans, je n’osais pas trop personnaliser mes jugements sur les journalistes de l’époque. Aujourd’hui, je peux ajouter que ces journalistes ne seraient rien sans cette matière que les politiques, les syndicalistes, les militants associatifs, les artistes, les intellectuels, leur apportent sur un plateau. Ils s’en repaissent, ils en font leur miel. C’est sur elle que repose la dramaturgie des JT. C’est sur elle que dissertent ensuite à longueur d’émissions les commentateurs et les éditorialistes. Mais… ils les méprisent. Et cela se voit. C’est justement pour cela, pour combler le vide qu’ils créent en piétinant ceux qui les nourrissent, ceux qu’ils vampirisent, qu’ils en rajoutent ensuite sur la forme, à coup de métaphores, de storytelling, de mises en scènes.

Je trouve cela désastreux. On s’interroge souvent pour savoir si les hommes politiques sont à la hauteur des enjeux d’une époque où la crise sous toutes ses formes se conjugue désormais avec les risques de guerre. Pourtant, plusieurs candidats à l’élection présidentielle ont certainement les qualités nécessaires pour affronter le défi. Mais les médias devraient aussi se montrer à la hauteur de la situation. Or, lorsque l’on voit que le portail informatif de Yahoo offre une légitimité à Gala, par exemple, qui semble ravi de commenter la campagne (à sa façon…, avec des personnes non formées, peut-être des stagiaires, d’une naïveté sans nom), lorsque l’on suit le Petit Journal de Canal Plus, lorsque l’on repense à la façon dont les débats des primaires de droite et de gauche ont été menés, ou plus banalement lorsque l’on regarde les journaux télévisés qui nous sont servis quotidiennement, on peut sérieusement se poser la question.

Ce ne serait pourtant pas très compliqué. Le journalisme est une école d’humilité et d’ouverture aux autres. Pourquoi avons-nous donc affaire à des stars de l’information avant tout entichées d’elles-mêmes ? Et qu’est-ce qui les empêche de manifester une qualité journalistique de base : avoir les yeux brillants d’intérêt et de curiosité pour la personne que l’on interviewe ? Fût-elle un homme politique.

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