Hier, je vous parlais des jeunes journalistes mal payés de BFM et i-Télé. Aujourd’hui, force est de constater que les présentateurs des journaux du matin poursuivent sur la même lancée : « Ce matin, Moirans se réveille en état de choc, etc. » Vous pourriez l’écrire vous-mêmes tellement c’est prévisible. Les chaînes généralistes prolongent ce traitement de l’information : France 2 nous dit à 13h que « la situation est confuse ». On peut remarquer le même flou qu’hier soir : un restaurant saccagé et deux barricades faites de carcasses de voitures prises dans une casse et enflammées, cela ne veut pas dire qu' »une partie de la ville a été mise à sac ». Et pour préserver cette interprétation, on nous montre une profusion de plans étonnamment serrés.
Je ne prétends pas minimiser le niveau de violence atteint lorsque 30 à 100 hommes (selon les sources) armés de barres de fer investissent la gare et certains lieux attenants. Ni justifier une atteinte condamnable à l’ordre républicain que je défends, moi aussi. Je m’étonne simplement que les médias audiovisuels exagèrent à ce point cette information et lui fassent subir des déformations aussi évidentes.
Cependant, je persiste à dire qu’il ne s’agit pas d’une « manipulation ». Les journalistes font ce qu’ils savent faire : mettre en valeur une information, en justifier l’intérêt, en faire ressortir les aspects les plus frappants et les plus spectaculaires. En un mot la « vendre ». Les jeunes journalistes frais émoulus des écoles, autant que ceux qu’on appelle les têtes de gondoles – c’est bien trouvé ! -, font tourner un système fondé sur le marketing plutôt que sur l’investigation et l’analyse des faits.
La propagation d’idées fausses, le déplacement du débat sur un terrain sécuritaire, ne sont que les effets secondaires du fonctionnement ordinaire d’une machine à diffuser des informations. Cette machine est un « robinet d’eau tiède » qui nous berce avec des intonations familières. Toutes les informations dans les domaines les plus variés sont passées à la moulinette d’un système fait de sourires, de simagrées, de télégénie, et d’une sorte de bruit de fond qui égalise tout, y compris les scandales financiers les plus graves, y compris la montée des extrêmes, y compris les effets du réchauffement climatique.
Ce bruit de fond est le même – comme je l’écrivais il y a deux jours sur la page facebook FLCEmangermieux de ma faculté – que celui de la publicité, celui de la grande distribution, celui de la malbouffe avec ses taux de sucre tranquillement euphorisants. Personne n’est responsable, mais beaucoup s’en accommodent : « on » nous décervelle gentiment, on fait de nous de placides zombies, des somnambules. Ce « on », j’y insiste, c’est la somme d’une série d’intérêts, à commencer par ceux des marques commerciales, qui exercent chacun une stratégie spécifique pour contrôler une petite portion de notre esprit. Les « manipulateurs » sont souvent de petites mains, des jeunes gens qui sinon se retrouveraient sans emploi. Les bourreaux sont eux-même des victimes… comme dans les dictatures, et c’est cela qui est inquiétant. J’ai toujours gardé à l’esprit la première phrase de One Dimensional Man, de Herbert Marcuse, publié en 1964 : « A comfortable, smooth, reasonable, democratic unfreedom prevails in advanced industrial civilization ».
Parmi les domaines que je citais, la publicité est exemplaire (voir, si vous le souhaitez, le blog de RAP Nantes, résistance à l’agression publicitaire). La publicité ne nous convainc pas des valeurs associées à telle ou telle marque. Il y a longtemps que plus personne n’y croit ! Elle distille juste une petite musique sans signification particulière, mais qui s’insinue partout. Confortable, rassurante. Elle nous anesthésie !
À une époque où l’avenir de notre planète ne tient qu’à un fil, à l’approche des manifs historiques qui émailleront la COP21 en novembre-décembre, nous sommes moins aptes que jamais à nous réveiller. Nous dormons profondément. Nous nous réveillerons, certes, mais ce sera probablement (à moins que…) comme pour Charlie : je rabats la couverture et me rendors. Marshall McLuhan, sommité oubliée du siècle passé, nous le disait déjà : le medium, finalement, ce n’est pas le message, c’est le massage…
Tout à fait d’accord pour l’effet médiatique abrutissant et dangereux sur le citoyens qui, à mon avis devraient choisir leurs sources d’informations avec discernement.. C’est là où l’enseignement a un rôle à jouer d’ailleurs…
Plutôt que creuser des sujets de société, avec documentaires, voix d’experts, on nous sert ce qu’on accepte aussi de regarder. Zapper du JT de France 2 à celui d’Arte par exemple, est éloquent, les sujets traités, l’ordre choisi, et le point de vue (au sens littéraire) sont éloquents..
Par exemple, regarder en boucle les images de la prise d’otages de la supérette casher à Paris en Janvier dernier sur BFM tv nous a bien montré les limites de la télévision spectacle, où le spectateur voyeur, en même temps que l’adrénaline monte, prend conscience du caractère anxiogène et peu productif, voire dangereux même pour la vie des otages de ce déferlement du direct.. .
Éduquer, semer la graine du doute, pour voir fleurir le sens critique, un bon credo !