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Lucile Conan, Bénédicte Thomère, Ana Yanguas de Benito, Les coulisses du journalisme, juin 2012

Les coulisses du journalisme

Quelles sont les qualités personnelles indispensables pour réussir dans le journalisme ? Voilà une question large à souhait, au point que je me demande pourquoi je n’ai pas demandé à ces 3 étudiantes, il y a 2 ans, de resserrer un peu plus le périmètre de leur sujet…

On perçoit quand même des limites. « Réussir » : on se situe du point de vue de jeunes de leur âge qui tentent de se faire une place dans la profession. « Les qualités personnelles » : par opposition à la « théorie » (en réalité le savoir-faire technique…), tout ce qui relève de la personnalité, du caractère (ou bien du savoir-être).

Et nous voilà partis pour un reportage sur les reporters ! Exercice courageux. Dont ces étudiantes se sont finalement très bien tirées, en suivant un réflexe journalistique particulièrement bienvenu : celui de ne jamais laisser une idée dans le flou, mais de toujours chercher à la développer et à l’illustrer.

Chacune des trois qualités mises en avant est ainsi rendue concrète : la rigueur se décline dans l’organisation journalière du travail, dans le souci de se faire comprendre, dans la méticulosité des recoupements et des vérifications. La curiosité, présentée comme une forme d’addiction, mais qui implique un peu bizarrement de se pencher sur des sujets « qui ne font pas forcément partie de nos centres d’intérêt ». J’aurais eu tendance à penser qu’un journaliste s’intéresse spontanément à tout, sans réticences… Enfin, aimer les gens. Rechercher le contact humain et l’émotion qui viendra irriguer l’information. Cultiver « l’écoute, le respect, l’empathie, la sympathie et la confiance ».

Ces termes, qui font consensus parmi les trois journalistes interviewés, sont un bon condensé des « qualités personnelles » nécessaires au jeune journaliste. Faut-il leur en ajouter d’autres, au risque de menacer la cohérence du propos et de s’éparpiller ? Léa Salanié, samedi soir dernier, a pris son courage à deux mains, dans « On n’est pas couché », pour demander à Natacha Polony s’il lui arrivait parfois de douter. Il est vrai que dans cet environnement parisianiste, c’est au journalisme d’opinion qu’elle faisait référence, en opposant le doute au « sectarisme ».

Ce doute, c’est une forme d’humilité qui récuse les angles trop assurés, les regards perçants et conquérants, les savoirs que l’on croit posséder avant même de se confronter avec la réalité. Savoir que l’on ne sait pas grand chose, et que l’on aimerait bien en savoir un peu plus. Cette forme de doute (on en vient à douter y compris de soi-même…) va bien avec une autre qualité, la capacité à s’étonner, et, pourquoi pas ? à s’émerveiller de façon presque enfantine (cf. La vérité de Gilles Bouleau, « prof d’histoire » et enfant).

Le doute et l’étonnement, ce sont bien sûr les bases d’une démarche philosophique. A condition de ne pas s’y complaire, et de s’en servir pour questionner le réel. Poser des questions, les bonnes questions, voilà l’une des étapes les plus importantes sur la voie de la vérité. Socrate prétendait que c’était là son seul savoir, et qu’il ne possédait lui-même aucune réponse.

J’ai souvent pensé que c’était ce que la philosophe et le journalisme avaient le plus profondément en commun. Ce sont les deux disciplines, les deux activités, qui reposent sur ce même savoir-faire : poser les bonnes questions. Des questions qui arrivent de biais, des questions inattendues, dérangeantes, saugrenues parfois. Des questions dont la « force tranquille » renouvelle, et parfois révolutionne, l’abord d’un sujet.

Dans un autre domaine encore, je me souviens, en 1982, de la remise du rapport de la mission « Technologie, Culture et Communication » par Armand Mattelart et Yves Stourdzé, devant 200 journalistes et 3 ministres. Armand Mattelart s’avance au micro, et lance, sans prendre sa respiration : « La pertinence d’une recherche dépend de l’impertinence des questions qu’elle pose. » Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de l’Industrie et de la Recherche, qui semblait sommeiller, lève la tête… et ne la repose plus jusqu’au bout de l’intervention !

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