Emmanuel Macron et l’écume des jours

Je ne sais pas si je peux me mettre à aborder des sujets politiques ou si je dois plutôt m’en tenir au titre de « techniques » du reportage que j’ai donné à ce blog et à mon strict statut d’universitaire. Ou plutôt, si, je sais ! J’ai en réserve de multiples sujets sur les techniques d’interview, sur la notion d’angle, sur la narrativité, sur la lisibilité, sur l’histoire du reportage, ainsi que de nombreux reportages d’étudiants que je brûle de vous commenter. Il est assez clair que c’est le meilleur choix que je puisse faire si j’espère vous intéresser et vous être utile.

Ce post gardera donc un caractère exceptionnel, mais je l’écris quand même, car j’ai quelque chose à dire…

Aujourd’hui 17 septembre, les chaines de télévision s’agitent autour d’une phrase prononcée ce matin par Emmanuel Macron à propos des ouvrières d’un abattoir breton, Gad, à qui on propose des reclassements à des distances exagérées de chez elles : « Il y en a qui sont, pour beaucoup, illettrées. » (sic) L’intention était bien sûr de soutenir ces ouvrières, mais la maladresse est évidente, et le jeune nouveau ministre de l’économie a dû s’excuser l’après-midi au cours des questions à l’Assemblée.

Emilie Besse ce midi sur Canal +, Audrey Pulvar ce soir sur i-Télé, Mediapart, sans compter les médias plus bas de gamme que je n’ai pas consultés, tous raillent l’énarque brillant qui ne s’est jamais confronté aux réalités, et tous pointent l’arrogance et le mépris d’une caste au pouvoir face aux gens du commun, aux gens du peuple. On fait évidemment le lien avec l’expression des « sans-dents » prêtée à François Hollande.

Tout cela est très vrai, et je ne peux qu’abonder dans le même sens. Mais…

Mais, ces polémiques d’un jour, qui s’en souviendra dans deux semaines ? Ce qui est si important aujourd’hui pour Audrey Pulvar et pour tous ces présentateurs qui arborent des sourires entendus avant de nous asséner des minutes entières sur le sujet, c’est en quelque sorte l’écume de l’actualité.

Pendant ce temps, d’autres infos n’ont pas les honneurs des débats télévisés. On est à J-1 du référendum en Écosse, et comme l’écrivait Bernard Guetta (non, pas David, son frère, journaliste !) le 2 septembre :

« Les Écossais sont appelés à se prononcer, dans quinze jours, sur l’éventualité de leur sortie du Royaume-Uni. La Catalogne entend, elle aussi, organiser un référendum d’indépendance à l’automne. Chacun des conflits africains ou presque met en question la pérennité de frontières dessinées par les puissances coloniales afin de diviser pour régner en faisant coexister des fragments de peuples au sein de mêmes structures administratives qui sont devenues des États indépendants dans les années 60.

Ce qui était patent en Afrique devient aujourd’hui la réalité du Proche-Orient où les frontières, également tracées par la colonisation, craquent désormais de toutes parts. La Syrie a éclaté dans une guerre civile qui ne met plus seulement aux prises son régime et son peuple mais ses communautés (…)

Le Proche-Orient se fragmente. Aussi lointaine qu’elle soit, c’est sa recomposition qui est en marche et l’on peut craindre que la crise ukrainienne ne soit en train d’ouvrir une dynamique semblable dans toute l’ancienne aire soviétique car, dessinées par Staline, les frontières intérieures de l’URSS divisaient elles aussi les peuples et imposaient des coexistences artificielles dont le pouvoir central tirait profit. Devenues frontières internationales, elles sont d’autant plus incertaines que d’importantes communautés russes vivent dans ces États nouvellement indépendants. La crise ukrainienne n’est ainsi ni le premier ni le dernier des conflits de l’Europe orientale que le chaos menace tout autant que l’Afrique et le Proche-Orient.

L’intangibilité des frontières ne sera bientôt plus qu’un souvenir. Elle a vécu parce qu’il n’y a plus de gendarme du monde, parce que les États-Unis ne peuvent plus et ne veulent plus jouer ce rôle, parce que la fin de la guerre froide a affaibli les dictatures africaines et que celles du Proche-Orient l’ont été par les révolutions arabes, parce que l’aspiration aux libertés et à la démocratie s’est répandue sur les cinq continents et que la mondialisation érode les États et réaffirme les identités communautaires. Nous entrons dans une nouvelle ère ou en revenons, plutôt, aux frontières mouvantes qui avaient toujours été la norme avant la brève parenthèse de l’après-guerre. C’est «bienvenue dans le chaos…»

Bienvenue dans un siècle de guerres, d’instabilité permanente et de lente affirmation de nouveaux États-nations. »

(L’article complet sur : http://www.liberation.fr/chroniques/2014/09/02/bienvenue-dans-le-chaos_1092245)

Une étudiante me disait ce matin que si les Écossais votaient oui à l’indépendance, ce serait aussi important que la chute du Mur de Berlin en 1989. C’est la planète sur laquelle vivront ces nouvelles générations qui se recompose sous nos yeux.

Alors voilà, c’est tout. L’information tend à se focaliser sur ce qui bouge et sur ce qui brille. En surface, il y a de beaux effets produits par l’écume. Plus difficile serait d’appréhender les lames de fond. Sauf à considérer que l’information n’est rien d’autre, en fin de compte, qu’un divertissement. Cela, j’ai du mal à m’y résigner.

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