Hitchcock, l’horreur de la banalité

Dans l’introduction de son livre d’entretiens avec Hitchcock (« Le cinéma selon Hitchcock », Ed. Robert Laffont, 1966), François Truffaut écrivait :

« En règle générale, les scènes de suspense forment les moments privilégiés d’un film, ceux que la mémoire retient. Mais en regardant le travail d’Hitchcock, on s’aperçoit que tout au long de sa carrière il a essayé de construire des films dont chaque moment serait un moment privilégié, des films, comme il le dit lui-même, sans trous ni taches.

Cette volonté farouche de retenir coûte que coûte l’attention et comme il le dit lui-même de créer, puis de préserver l’émotion afin de maintenir la tension rend ses films très particuliers et inimitables, car Hitchcock exerce son emprise et sa domination non seulement sur les moments forts de l’histoire, mais aussi sur les scènes d’exposition, les scènes de transition et toutes les scènes habituellement ingrates dans les films.

Deux scènes de suspense ne seront jamais chez lui reliées par une scène ordinaire, car Hitchcock a l’ordinaire en horreur. (…) Tout se passe dans ses films comme s’il s’agissait pour Hitchcock d’empêcher la banalité de s’installer à l’écran. »

Toute ressemblance avec les principes du reportage n’a certainement rien d’un hasard ! Ces quelques phrases seraient dignes d’apparaître en tête des consignes adressées aux reporters débutants.

On pourrait en rester là, mais le même texte de Truffaut va plus loin : il nous initie aussi aux raisons qui ont conduit Hitchcock à détester à ce point l’ordinaire et la banalité.

« Cet homme qui mieux que tout autre a filmé la peur est lui-même un craintif (…) Tout au long de sa carrière, Alfred Hitchcock a éprouvé le besoin de se protéger des acteurs, des producteurs, des techniciens, puisque les moindres défaillances ou les moindres caprices de l’un d’eux peuvent compromettre l’intégrité d’un film. Pour lui, le meilleur moyen pour se protéger était de devenir le metteur en scène par qui toutes les stars rêvent d’être dirigées, devenir son propre producteur, en apprendre plus long sur la technique que les techniciens eux-mêmes. Il lui restait encore à se protéger du public et pour cela Hitchcock a entrepris de le séduire en le terrifiant, en lui faisant retrouver toutes les émotions fortes de l’enfance lorsque l’on joue à cache-cache derrière les meubles de la maison tranquille, lorsqu’on va être pris à colin-maillard, lorsque le soir, dans son lit, un jouet oublié sur un meuble devient une forme mystérieuse et inquiétante. »

Vous saviez sans doute déjà que pour pratiquer la communication en général, et le reportage en particulier, il faut être perfectionniste. Eh bien, il faut aussi être paranoïaque ! Protégez-vous de toutes les critiques. Tentez de plaire à tous. Un seul lecteur insatisfait vous rendra malade. C’est le prix à payer pour transcender l’épreuve. C’est la part de folie obligatoire pour devenir un véritable communiquant ou reporter…

P.S. Les bandes son des 50 heures d’interview de Hitchcock par Truffaut sont désormais disponibles sur internet.

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