Grèce : les journalistes ne sont pas à la hauteur de l’enjeu

Les journaux papier et TV consacrent leurs unes à la Grèce depuis plusieurs semaines. L’enjeu est crucial, puisque les dirigeants politiques, qui participent à des négociations lourdes de conséquences, sont tenus par leurs opinions publiques, et que celles-ci sont pour une large partie informées et structurées par les médias.

Ecoutez ces micro trottoirs réalisés en Allemagne : « Ça suffit, on ne peut pas continuer à payer pour les Grecs, chacun doit payer ses dettes, il faut gérer son budget de manière responsable, ils ne sont pas sérieux… »

Ont-ils donc la mémoire courte !? L’Allemagne est justement le pays d’Europe dont les dettes – les dommages de guerre de la Seconde Guerre Mondiale + le financement de la reconstruction grâce au Plan Marshall – ont été d’abord, en 1953, repoussées jusqu’à une hypothétique réunification, puis purement et simplement annulées en 1990-91… Annulées ! Quant aux dettes de la Première Guerre Mondiale, elles ne sont rien de plus et rien de moins que les causes du nazisme. Le système scolaire allemand ressasse tout cela jusqu’à la nausée.

Supposons que les jeunes Allemands l’ignorent malgré tout. Qu’ils ne fassent pas le lien entre ce qu’ils ont appris à l’école et l’actualité. Mais les journalistes ?? Absolument impossible qu’ils n’aient jamais appris cela dans le courant de leurs études.

Mettre en relation la dette allemande et la dette grecque, c’est bien cela que l’on appelle « contextualiser » l’information, non ? D’ailleurs, les éléments de cette contextualisation sont disponibles facilement, grâce au travail mené notamment, ces derniers jours et pour ce qui concerne la France, par l’économiste Thomas Piketty, ou par Christian Salmon sur son blog solidement informé de Mediapart.

Force est de constater, face à ces données, qu’une majorité de journalistes français se bornent à reprendre ces interviews reçues d’Allemagne (ou de Finlande, de Slovaquie, etc.) et les dépêches des agences, à faire de la psychologie (les Européens sont « exaspérés » par les volte-face de M. Tsipras ; il y a du tirage dans le couple franco-allemand…) Et à n’offrir en fin de compte qu’une vision biaisée de ce débat, en mettant l’accent sur les défauts des gouvernements grecs (qui en ont, bien entendu !), en ignorant systématiquement le court-termisme désastreux et la malhonnêteté insupportable des Européens. Un seul exemple : en 2012, ils avaient promis que si la Grèce parvenait à dégager un excédent primaire, c’est-à-dire que le total des impôts collectés est supérieur à la dépense publique, les discussions sur la restructuration de la dette pourraient reprendre. En 2014, les Grecs y sont parvenus au prix d’efforts surhumains, et les Européens ont alors repoussé la discussion en imposant de nouvelles exigences. A noter que la France ne dégage pas d’excédent primaire…

Ces journalistes, on ne peut pas les accuser d’idéologie, pourtant. La question, pour eux, n’est pas d’être pour ou contre les politiques ultralibérales du Fonds Monétaire International et de la Banque Centrale Européenne. La question est uniquement celle d’avoir… un poil dans la main !! Je déteste cette expression. Et pourtant, c’est cela. Le défaut des journalistes est la paresse. C’est scandaleux !

On nous explique que la situation de la Grèce vis-à-vis de l’Union Européenne est extrêmement complexe. Que personne ne se permet de faire des prévisions. Mais qu’ont donc étudié tous nos jeunes journalistes ? L’économie, le droit, la géopolitique, je suppose… Trouveront-ils jamais meilleure occasion de se servir de leurs connaissances pour rétablir des vérités face à un sens commun erroné ? Expliquer que les banques (HSBC, Lehman…) et les entreprises européennes ont pillé la Grèce ? Que la dette grecque rapporte des millions d’euros d’intérêts ? Que le fait de réclamer son dû – ce sont les riches qui prêtent aux pauvres, l’argent (des intérêts) va à l’argent (investi) – enlèvera toute chance de relance de l‘économie grecque (et par conséquent de remboursement de la dette). Que ceux qui sont actuellement dans la confortable position de créanciers réclamant leur dû seront peut-être bien, dans quelques courtes années, dans la position inverse, et cela en raison même de leur avidité et de leur imprévoyance d’aujourd’hui. Les marchés, dans un avenir trop prévisible, spéculeront sur la faillite de la France…

La paresse est certainement le plus grave, le plus détestable défaut qui puisse entacher le travail des journalistes. L’incompétence n’en est qu’une conséquence. Un journaliste est curieux, rigoureux. Il associe esprit de synthèse et sens du concret. Il a acquis une solide culture générale et il l’entretient jour après jour. Sinon, qu’il laisse la place à d’autres !

 

(Je corrigerai ce post et lui ajouterai des références dès que possible. 8.7.2015)

 

http://www.bfmtv.com/mediaplayer/video/thomas-piketty-face-a-jean-jacques-bourdin-en-direct-572985.html

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *